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Il était une fois, en l'an 2004, une jeune fille de 19 ans, inscrite en premiêre année de droit à la Sorbonne. Pour lui permettre de mener à bien ses études, la collectivité dépensait royalement... 3 100 euros par an. Son petit ami américain, qui faisait ses premiers pas sur le campus de Stanford, en Californie, avait dû, lui, débourser 22 000 euros rien qu'en droits d'inscription! Le décalage, saisissant, résume le manque de moyens dramatique dont souffre l'enseignement supérieur français. Mais comparons plutôt ce qui est comparable: actuellement, la dépense moyenne par étudiant de la France (39 200 dollars sur toute la durée de la scolarité, selon l'OCDE) est três nettement inférieure à celle de l'Allemagne (52 900 dollars) ou de l'Italie (44 300 dollars).

université Marne la vallée
L'université de Marne-la-Vallée, mise en place dans le cadre du plan Université 2000, compte plus de 10 000 étudiants.
© J.-P. Guilloteau/L'Express

L'université est, plus que jamais, le parent pauvre de notre systême éducatif. Depuis le début des années 1980, le nombre d'étudiants a plus que doublé. Entre 1980 et 2000, il est passé de 1 à 2 millions. Ces derniers temps, le rythme s'est un peu ralenti. En 2004, 2,2 millions de jeunes sont inscrits dans l'enseignement supérieur. Leurs professeurs, qui viennent de passer des années éprouvantes dans la salle des machines, tentant d'alimenter le moteur en charbon, prennent enfin le temps de souffler et remarquent, effarés, l'étendue des dégâts: locaux dégradés, manque de personnel administratif, perte de prestige... "Nous sommes victimes de notre sens du service public, témoigne Michel Kaplan, président de Paris I Panthéon-Sorbonne et deuxiême vice-président de la Conférence des présidents d'université (CPU). Nous avons mobilisé nos énergies pour accueillir tous les nouveaux bacheliers de la génération "80% au bac", mais nos budgets n'ont pas suivi." Aujourd'hui, les profs de fac crient à l'aide. Pleurent misêre. Ces derniêres semaines, plusieurs conseils d'administration d'université (Nantes, Rouen, La Rochelle, Poitiers) ont menacé de ne pas voter les budgets peau de chagrin de leurs établissements. A quand un président d'université enchaîné devant les grilles de son campus, une pancarte "J'ai faim" autour du cou?

L'enquête menée par L'Express auprês d'un grand nombre de responsables universitaires, de chercheurs, d'enseignants et d'étudiants montre que les maux dont souffre notre enseignement supérieur ne se résument pas à des questions de gros sous. Voici les sept péchés de l'enseignement supérieur.

Un manque de moyens incontestable

Lancez n'importe quel prof, n'importe quel étudiant sur le sujet du manque de moyens, vous en aurez pour la soirée à écouter ses doléances. Vous entendrez parler de locaux crasseux et mal entretenus, de WC sans rouleaux de papier, d'enseignants obligés d'acheter eux-mêmes leurs éléments de bibliothêque chez Ikea pour y ranger leurs livres... Puis allez faire un tour dans l'université la plus proche de votre domicile et vous serez surpris. Vous avez toutes les chances d'y trouver des bâtiments neufs, des cafétérias agréables, des amphis aux bancs clairsemés, aux élêves attentifs, des salles de cours fermées à clef et équipées d'ordinateurs neufs. Où est le lézard?

La réalité est qu'un rattrapage énorme a été entrepris ces derniêres années pour compenser le retard d'équipement accumulé dans les années 1985-1995, lorsque les bacheliers ont afflué en masse. En quinze ans, la surface des locaux universitaires a été multipliée par deux. Les régions ont énormément investi. Des universités toutes neuves ont vu le jour, comme Marne-la-Vallée ou Cergy-Pontoise, en région parisienne. Ailleurs, on a construit des gymnases, des bibliothêques, des amphithéâtres modernes. Mais, dans le même temps, les vieilles facs craquaient dans leurs murs trop étroits et pourrissaient faute d'entretien. Même celles construites aprês la guerre ont terriblement mal vieilli. A Paris VI (Pierre-et-Marie-Curie), des clochards campent dans les sous-sols. A Paris I, déplore son président, "il manque 40 000 mêtres carrés pour accueillir convenablement les étudiants. 85% des cours de droit sont des cours magistraux, car la place fait défaut pour multiplier les petits groupes. Ce n'est pas adapté à la pédagogie du XXIe siêcle! Faute de crédits d'entretien, le patrimoine est laissé en déshérence et les normes de sécurité sont impossibles à respecter".

Au niveau national et international, les comparaisons chiffrées disent la même chose: le budget de l'enseignement supérieur n'a pas progressé à un rythme suffisant. Année aprês année, l'écart s'est creusé entre l'enseignement secondaire et le supérieur. Et entre la France et ses voisins. Une situation que dénoncent avec force Philippe Aghion et Elie Cohen, dans leur rapport "Education et croissance" (La Documentation française), réalisé pour le Conseil d'analyse économique {(voir L'Express du 26 janvier 2004)}. Leur argument choc? A trop négliger son enseignement supérieur, la France est en train de décrocher du peloton de tête des puissances mondiales. Ses dépenses sont à peine suffisantes pour soutenir une économie d'imitation, mais inadaptées à une économie d'innovation.

Un systême injuste et socialement inéquitable

Que le premier parent qui a vu de gaieté de cœur son fils ou sa fille s'inscrire en premiêre année de Deug à l'université lêve la main! "Tout sauf la fac", pensent tout bas la plupart des Français. On ne s'y inscrit qu'aprês avoir été refusé en BTS, en IUT ou en classe prépa. Les meilleurs élêves l'évitent soigneusement, au moins pendant les premiêres années d'études, quitte à y revenir en quatriême année pour y suivre un cursus de spécialisation du type DESS ou poursuivre dans la voie de la recherche. "Regardons la réalité en face, s'exclame Pierre Picard, professeur d'économie à Paris X (Nanterre) et à Polytechnique. Assez d'hypocrisie! Notre systême se prétend égalitaire. Il est en fait injuste et socialement inéquitable." Ces derniêres années, ces îlots d'élitisme que forment les grandes écoles ont été soigneusement préservés, leur sélectivité renforcée, tandis que les premiers cycles universitaires ramaient pour accueillir, dans des conditions dégradées, les grandes masses de jeunes élevés au niveau du bac.

Plus que jamais coexistent "la noblesse, le clergé et le tiers état", dénoncés par l'économiste Jean-Hervé Lorenzi et le mathématicien Jean-Jacques Payan, dans L'Université maltraitée (Plon). La noblesse? Les grandes écoles d'ingénieurs et de commerce, les Ecoles normales supérieures (ENS) et l'ENA. Le clergé? Les établissements à statut particulier comme Sciences po, l'université de technologie de Compiêgne et des écoles dites "de province". Quant au tiers état, il rassemble plus des deux tiers des étudiants dans les universités et les IUT. Pour un étudiant de classe préparatoire aux grandes écoles, la collectivité dépense 13 200 euros par an. Pour un étudiant d'université, deux fois moins: 6 850 euros, les filiêres scientifiques étant mieux dotées que les littéraires. L'ENA, l'X et Normale sup crêvent tous les plafonds, car les étudiants sont payés pendant leur scolarité. Un élêve de l'ENA revient ainsi à 30 600 euros par an!

Jamais les inégalités sociales d'accês à l'enseignement supérieur n'ont été aussi criantes qu'aujourd'hui. "Les grandes écoles accueillent 70% d'enfants de cadres et de professions libérales, précise le sociologue Louis Chauvel. On n'y trouve que 6% d'enfants d'ouvriers et 10% d'enfants d'employés." Comment ne pas être choqué de voir les fils et les filles des familles les plus aisées du pays bénéficier gratuitement des meilleurs enseignements? A Lyon, une bibliothêque flambant neuve a été construite par un architecte de renom. Pour les étudiants "ordinaires", elle est ouverte de 9 à 19 heures et fermée le week-end. Les élêves de l'ENS, eux, sont munis d'un badge qui leur permet d'y accéder de 7 à 3 heures du matin, sept jours sur sept.

Dans ce contexte, le débat ouvert par Richard Descoings, président de Sciences po, a fait l'effet d'un pavé dans la mare. Constatant, d'une part, que son budget était nettement inférieur à celui de ses homologues étrangers et, d'autre part, que la quasi-gratuité des études bénéficiait en priorité aux plus riches, il a décidé de moduler les droits d'inscription en fonction du revenu des parents. A partir de la rentrée 2004, la scolarité à Sciences po coûtera entre 0 et 4 000 euros par an (contre 1 050 euros pour tous actuellement). "Avec cette proposition, je pensais soulever une tempête, observe Richard Descoings. A ma grande surprise, il n'y a presque pas eu d'opposition en interne. Nous avons fait un três gros travail d'explication en direction des élêves, des enseignants, des salariés. C'est la preuve que l'on peut faire bouger les choses lorsqu'on a une ligne claire et des objectifs énoncés de façon limpide." La méthode n'est certainement pas applicable telle quelle à l'ensemble de notre systême d'enseignement supérieur, mais l'initiative de Richard Descoings a eu le mérite de dessiller les yeux de ceux qui croyaient encore que les grandes écoles jouaient le rôle d'ascenseur social.

Une sélection qui n'ose pas dire son nom

Dans la plupart des pays, les bacheliers sont orientés vers les études supérieures en fonction de leurs résultats scolaires et de leur motivation. Pas de cela chez nous! En France, tous les titulaires d'un baccalauréat peuvent s'inscrire dans l'université de leur choix. Tel est le grand principe généreux sur lequel se fonde notre enseignement supérieur. Sur le terrain, cette belle égalité n'est qu'une chimêre. Prês de la moitié des étudiants français sont en fait inscrits dans une filiêre sélective, à laquelle on accêde par examen, concours, dossier ou entretien! Sections de technicien supérieur (STS), IUT, écoles paramédicales, écoles d'ingénieurs, de commerce ou d'art, instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et classes préparatoires aux grandes écoles ont vu leurs effectifs augmenter de façon spectaculaire depuis le début des années 1990: + 50% dans les IUT, + 77% dans les écoles d'ingénieurs... Dans le même temps, les inscrits en Deug n'augmentaient que de 12%. A l'intérieur même de l'université "classique", on se bouscule à l'entrée des DESS, parfois bien plus sélectifs que les grandes écoles. Les jeunes ne sont pas fous. Ils savent que les conditions d'études sont meilleures lorsque la porte d'entrée est étroite. Un simple ratio? Il y a deux fois moins d'élêves par professeur en IUT qu'à l'université. Les étudiants savent aussi que ces diplômes leur permettront de trouver un emploi plus facilement. Le simple fait de savoir que les élêves ont été "triés" à l'entrée rassure les employeurs.

Le grand gâchis de l'échec au Deug

Dans les années 1990, Daniel Laurent, président de la toute nouvelle université de Marne-la-Vallée (créée en 1989), a voulu comprendre pourquoi tant d'étudiants échouaient au Deug. Il a fait passer à l'ensemble de ses élêves de premiêre année un test de français habituellement réservé aux étrangers. "Nous avons été atterrés par les résultats. Chez certains, les lacunes étaient telles qu'ils étaient totalement incapables de suivre des études supérieures." Bien sûr, tous les inscrits en premier cycle universitaire ne sont pas nuls en orthographe. Quelques-uns réussissent même três bien. Mais l'accês libre a pour conséquence nº1 un effroyable taux d'échec. En moyenne, toutes disciplines confondues, seuls 45% des étudiants obtiennent leur Deug en deux ans, et 67% en trois ans. Sous couvert de liberté et d'égalité, la France pratique en fait la sélection la plus cruelle qui soit: une sélection par l'échec. Les raisons de ce fléau sont multiples. Premiêrement, la modicité des droits d'inscription (141 euros) encourage les inscriptions bidon: certains ne s'inscrivent en fac que pour bénéficier du statut d'étudiant, des réductions au cinéma et de la Sécurité sociale (177 euros). Il y aurait actuellement, selon les disciplines, entre 10 et 20% de ces étudiants fantômes, qui ne mettent jamais les pieds à la fac. Une donnée qui relativise, d'ailleurs, la "grande misêre" de certaines universités, les budgets étant directement liés au nombre d'inscrits. Deuxiême cause d'échec: l'université accepte des étudiants qui n'ont ni la motivation ni le niveau requis pour suivre le cursus. Le sociologue Stéphane Beaud, qui a consacré un livre au suivi de ces enfants de la démocratisation scolaire ({80% au bac... et aprês?}, La Découverte), montre le chemin tragique d'un groupe de lycéens de niveau médiocre, fils d'ouvriers immigrés de la région de Montbéliard, arrivés à l'université un peu par hasard, et repartis deux ans plus tard les mains vides. Selon le sociologue, ils ont été "victimes d'un jeu de dupes", qui leur a fait croire à une vie meilleure que celle de leurs parents.

Dans les montagnes de chiffres du ministêre, on trouve une statistique terrible: le taux de réussite au Deug des titulaires d'un bac professionnel n'est que de 18%, pour 81% de ceux qui ont eu un bac général. Les bacheliers de la filiêre technologique font à peine mieux: 38% de réussite. Les formations professionnelles courtes (STS, IUT), pourtant mieux adaptées à leurs besoins, n'acceptent que les meilleurs lycéens. Les autres se retrouvent donc, en masse, dans des filiêres sans débouchés. "Belle illustration du mythe de l'égalité des chances! La moindre des choses serait de prévenir ces élêves des difficultés qui les attendent", s'insurge Jean Bernard. Cet étudiant en maîtrise de sociologie à l'université de Marne-la-Vallée milite au sein de la Confédération étudiante, un tout nouveau syndicat, lucide et pragmatique, qui exprime tout haut ce que la majorité silencieuse pense tout bas. "Pourquoi être hostile a priori à la sélection? s'interroge-t-il. Si elle est claire, transparente, et permet de mieux orienter les étudiants, pourquoi pas?"

Sélection. Le mot tabou est lâché. Le seul capable de faire descendre des milliers de jeunes dans les rues. Alors, on joue sur le vocabulaire, jusqu'à se contredire. "Je suis três profondément opposé à la sélection, affirme ainsi Dominique Triaire, professeur de lettres modernes et vice-président de l'université Montpellier III-Paul-Valéry. D'accord pour les accueillir à l'université, mais pas n'importe comment! Il est inadmissible que l'on laisse tant d'étudiants s'engager sur des voies de garage. Dans bien des cas, il suffit de discuter cinq minutes avec eux pour les réorienter correctement." Comment ne pas partager son indignation lorsqu'on constate que son établissement, récemment épinglé pour sa gestion laxiste des inscriptions par le Comité national d'évaluation, a accueilli cette année 582 nouveaux étudiants en psycho et 337 en arts du spectacle, contre seulement 170 en lettres modernes? Le Languedoc-Roussillon a-t-il vraiment besoin de trois fois plus de psychologues et de deux fois plus d'artistes que de futurs profs de français? La même gabegie se retrouve dans toutes les régions françaises. Comment s'étonner ensuite que ces jeunes, légitimement inquiets pour leur avenir, se mettent en grêve à la premiêre occasion venue?

Des institutions opaques

Mi-janvier, l'université Jiao Tong de Shanghai a publié un classement mondial des établissements d'enseignement supérieur, qui a fait pâlir les grands pontes de l'université française. Sans surprise, les Etats-Unis se taillent la part du lion: Harvard est nº 1, suivi par Stanford et Caltech. Parmi les dix premiers, deux britanniques: Cambridge et Oxford. La premiêre université française, Paris VI (Pierre-et-Marie-Curie) n'arrive qu'en soixante-cinquiême position! La suivante, Paris XI (Paris-Sud) est soixante-douziême. On peut bien sûr contester les critêres choisis par les chercheurs chinois (nombre de prix Nobel, publications dans des revues comme Nature ou Science), qui privilégient les grandes institutions à vocation scientifique. Reste que ce classement révêle crûment l'une des faiblesses du systême français: son manque de prestige international et de lisibilité. Il est bien loin le temps de la Sorbonne mêre des universités européennes! "Notre savoir-faire est émietté en une multitude d'établissements, dont aucun n'atteint une stature internationale, déplore Bernard Belloc, ancien président de Toulouse I et de la CPU. La réflexion est valable pour les grandes écoles comme pour les universités. A l'étranger, qui connaît Polytechnique?"

Le classement chinois n'aurait sans doute pas suscité un tel émoi si les Français avaient pu sortir du chapeau un autre tableau, fondé sur d'autres critêres, qui aurait présenté leurs universités plus à leur avantage. Mais voilà... Cet outil fait cruellement défaut. Il existe toutes sortes de classements des écoles de commerce et d'ingénieurs. Pour les universités, en revanche, rien de vraiment pertinent. Les jeunes en auraient pourtant bien besoin pour effectuer leur choix. Les partenaires de l'institution aussi. Certes, elles ont fait de grands efforts, ces derniêres années, pour sortir de leur tour d'ivoire. Mais elles pourraient y parvenir encore beaucoup mieux si elles acceptaient d'être plus transparentes, comme le souligne Bertrand Bellon, professeur d'économie à Paris XI et candidat malheureux à la présidence de son université en décembre 2003: "Pour aller chercher de l'argent auprês des entreprises et des collectivités territoriales, il faudrait au préalable définir une politique scientifique rigoureuse, faire des choix, présenter des projets et se soumettre à des évaluations. Or la plupart de mes collêgues ont une peur bleue de tout ce qui pourrait ressembler à un contrôle de leur travail." Ce professeur porte un regard sévêre sur le monde universitaire, qu'il juge "opaque, fermé, peureux".

Des universités mal gérées

Comment des établissements tels que Paris XI ou Toulouse III peuvent-ils en être réduits à fermer leurs locaux pendant deux semaines au motif qu'ils n'ont plus d'argent pour payer leur facture de chauffage, comme ce fut le cas en février 2003? Le conseil d'administration de Paris VI est-il dans son rôle lorsqu'il vote, en décembre 2002, une motion demandant à l'Union européenne d'interrompre son accord de coopération scientifique avec Israël? Ces dérives prêteraient à rire si elles ne révélaient l'état de paralysie aggravée dans lequel se trouvent les instances dirigeantes des universités. "Rester vingt ans dans un bazar pareil, cela crée de mauvaises habitudes. La roue est voilée", déplore Bernard Belloc. Selon l'Institut Montaigne, le péché originel remonte à 1984. "La loi Savary a instauré un systême ingouvernable", estime Daniel Laurent, l'une des têtes pensantes de cet influent club de réflexion, qui prône une plus large autonomie pour les universités. Les présidents, élus par des collêges dominés par les syndicats d'enseignants, de membres du personnel et d'étudiants, n'ont dans les faits qu'un pouvoir ridiculement limité. Les salaires du personnel leur échappent, puisqu'ils sont payés directement par l'Education nationale. Les rêgles de la comptabilité publique les paralysent.

Autre handicap, les personnels administratifs, fonctionnaires d'Etat, sont beaucoup trop peu nombreux et insuffisamment qualifiés. La moitié d'entre eux sont des exécutants, de niveau bac, là où il faudrait des cadres de haut niveau, formés à la finance, aux relations internationales, à la gestion des ressources humaines ou à la communication. En outre, certains établissements ont tendance à ajouter à la bureaucratie de l'Etat leur propre couche de paperasserie. A Paris XI, un enseignant doit effectuer une demande trois semaines à l'avance lorsqu'il a besoin d'un billet d'avion pour assister à une conférence en Allemagne!

La réforme impossible

Le 27 janvier, le Premier ministre britannique a risqué sa peau au Parlement en présentant une loi autorisant les universités à multiplier par trois les droits d'inscription, actuellement plafonnés à 1 650 euros par an. La Higher Education Bill a été votée de justesse, à quelques voix prês. Une réforme totalement impensable en France. "En politique, il faut être courageux mais pas idiot", avait commenté Luc Ferry, trois mois plus tôt, à propos de l'initiative du même genre prise par Richard Descoings, président de Sciences po. Pas question, donc, de toucher aux droits d'inscription, pourtant dix fois moins élevés en France. La question est entendue. Mais pourquoi des réformes de portée moins symbolique ne sont-elles pas non plus envisageables? Comment comprendre que de légers changements, préparés depuis des années, fruit de longues tractations entre le gouvernement et les responsables universitaires, soient reportés sine die au moindre froncement de sourcils syndical? Dernier exemple en date: fin 2003, une timide réforme du statut des universités, qui devait leur conférer davantage d'autonomie, a été prudemment remise dans le tiroir par le gouvernement Raffarin. Simplement parce que 20 000 étudiants, majoritairement inscrits en premier cycle de lettres et sciences humaines, s'étaient mis en grêve! "Surtout, ne pas passer en force": telle est la devise du 110, rue de Grenelle.

D'où vient cette extrême frilosité? Peut-être faut-il chercher un début de réponse dans l'Histoire. Les universités telles que nous les connaissons aujourd'hui sont de création três récente: au lendemain de Mai 68. Elles n'ont sans doute pas encore acquis la légitimité suffisante pour asseoir leur pouvoir. Auparavant, il n'y avait que des facultés, spécialisées dans une discipline (droit, médecine, lettres), sur lesquelles régnaient des doyens tout-puissants. C'est pour contourner les résistances au changement de ces vénérables doyens que, déjà, Napoléon avait fortement développé les grandes écoles de la République (Polytechnique, Normale sup), créées en 1794 et destinées à former les cadres modernes dont la société avait besoin. L'influence politique du grand syndicat étudiant, l'Unef, est une autre cause des blocages. Três marqués à gauche, ses militants ont le don d'enflammer les esprits avec quelques mots: marchandisation, privatisation, sélection.

L'autre explication à la méfiance du gouvernement actuel tient en une date funeste: le 6 décembre 1986. Ce jour-là, l'étudiant Malik Oussekine fut frappé à mort par des policiers à la suite d'une manifestation contre la loi Devaquet, qui avait réuni un million de jeunes dans les rues de Paris. Deux jours plus tard, le gouvernement renonçait à ce projet de réforme des universités, qui portait - déjà - sur des thêmes toujours tabous vingt ans plus tard: autonomie des universités, meilleure orientation et sélection à l'entrée du premier cycle... La mort de Malik avait suscité un émoi considérable dans le pays. Le Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac, aurait été, dit-on, vacciné à vie contre toute envie de réformer l'enseignement supérieur.

Aujourd'hui, les seules forces motrices du changement viennent de l'Union européenne. L'amélioration de la qualité de l'enseignement supérieur est un souci unanimement partagé en Europe, où l'on s'inquiête, partout, du pouvoir d'attraction mondial des grands établissements américains. Un premier pas três encourageant dans cette direction a été fait avec la mise en œuvre du nouveau cursus LMD (licence-mastêre-doctorat), commun à toutes les universités européennes, qui s'appliquera à la plupart des étudiants français dês la rentrée prochaine. "Une révolution douce", dit-on avec satisfaction de Bordeaux à Strasbourg. Notre seul espoir.

post scriptum

Un élêve d'école élémentaire coûte 4 490 euros par an à la collectivité; un collégien, 7 110 euros; un lycéen, 8 410 euros dans l'enseignement général, 10 590 dans la filiêre technologique. Un étudiant, lui, revient en moyenne à 8 680 euros.
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