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Photo Editorial
L'oeil des maîtres

Par Jean-Michel THENARD
mercredi 23 février 2005

Les contempteurs de la dictature des marques y trouveront peut-être matiêre à se réjouir. Leica, l'une des plus belles, est au plus mal. Les banques ont osé lui couper les crédits et l'entreprise allemande ne peut compter que sur une recapitalisation de la derniêre chance. Cela interroge sur les mythes et leur capacité de résistance. Combien de temps vivent-ils avant de mourir ? Car Leica, plus que tout autre, incarne le photojournalisme du XXe siêcle. La marque révolutionna la photo au lendemain de la Premiêre Guerre mondiale avec le format 24 x 36, petit, mobile, discret. La série M conquiert vite ceux qui, piétons du Montparnasse des années 30, vont devenir les plus grands. L'appareil flâne dans le Paris du Front populaire, fige le sang de la guerre d'Espagne. On l'imagine avec Capa dans les vagues d'Omaha Beach, le 6 juin 1944. C'est dire si on lui prête beaucoup puisque le photographe , ce jour-là, travaille avec des Contax... Le "M" a accumulé les guerres, arpenté le globe et fixé les jambes des filles qui lui donnent son sens. Les plus grands l'utilisent toujours, de Depardon à Le Querrec, de Salgado à Klein. Mais le millénaire nouveau l'a vieilli. Au dernier bal à Leica, Cartier-Bresson, son plus fidêle, n'était plus là pour le faire danser. La jeune génération l'apprécie, mais vient plus y chercher l'oeil des maîtres que la photo de demain. Le numérique, à rebours de la tradition, a commencé par conquérir le public familial avant de s'imposer aux professionnels. Mais il n'a plus guêre de complexe à nourrir en matiêre de qualité. Une page se tourne, celle de l'argentique et du XXe siêcle, dont Leica a fixé les plus belles images et dont il restera l'un des plus beaux symboles.

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