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La lutte contre les gros mots sur les écrans américains de cinéma et de télévision fut également au centre du film Gunner Palace, un documentaire sur des troupes américaines en Irak. Les réalisateurs, Michael Tucker et Petra Epperlein, ont filmé deux fois pendant un mois, en 2003 et en 2004, une brigade d'artillerie qui occupe un ancien palace bombardé de Bagdad ayant appartenu à Oudaï, l'un des deux fils de Saddam Hussein. Ils suivent ces soldats au quotidien, en patrouille, pendant les raids de maisons d'"insurgés" la nuit. Ils les font témoigner tandis qu'en voix off on entend les discours de Donald Rumsfeld, le ministre des armées.

On voit ces jeunes au repos, se parlant de manière relâchée, chantant du rap aux paroles crues, dans un décor surréel de ruines, de rideaux d'apparat et de chandeliers, avec golf et piscine. Le document, d'une heure et vingt-cinq minutes, montre la réalité du conflit à ras du sol, sans prendre parti sur la guerre, même si un soldat laisse échapper : "Je ne sais plus si je défends mon pays."

Or ce film fut initialement classé "R", pour Restricted, ce qui signifie que les moins de 17 ans devaient être accompagnés d'un adulte. C'est le vocabulaire quotidien, particulièrement corsé, des soldats - "Fuck", "Shit", "Asshole"... - qui a appelé l'index "R", ce qui limite le public et certaines possibilités de marketing. Mais les producteurs du film ont fait appel de cette décision, et ils ont gagné : ils ont obtenu un gentil "PG-13", soit la classification des Choristes (attention pour les enfants de moins de 13 ans).

Comment un film se trouve-t-il classé "R" ou "PG-13" ? La règle habituelle, appliquée jusqu'ici par la MPAA, veut qu'un seul "Fuck" ou juron équivalent par film, s'il n'est pas employé dans le sens sexuel, entraîne un "PG-13". Les jurons plus fréquents ou à connotation sexuelle déclenchent automatiquement un "R".

La décision en appel des treize membres de la MPAA à propos de Gunner Palace repousse donc les limites du langage admis jusqu'à présent sur les écrans. Pour invoquer la tolérance des censeurs, les producteurs du documentaire ont argué de la nécessité de présenter la réalité de la zone de guerre, y compris à des jeunes susceptibles de s'enrôler dans l'armée.

Le débat sur les gros mots au cinéma est vif puisque, de son côté, la Federal Communications Commission (FCC), organisme régulateur des télécommunications américaines, vient de rejeter les plaintes de téléspectateurs contre le vocabulaire "obscène" des soldats du film de Steven Spielberg Il faut sauver le soldat Ryan.

La MPAA a également entendu l'appel des producteurs du film Hotel Rwanda. Celui-ci s'était d'abord vu infliger une classification "R", alors que le réalisateur, Terry George, s'est abstenu d'images violentes dans sa description du génocide rwandais. D'après Keir Pearson, le scénariste du film, la MPAA aurait a priori craint le contexte général de violence qu'a connu le pays - alors que celle-ci n'est pas montrée à l'écran.

Hotel Rwanda a finalement pu sortir aux Etats-Unis avec un "PG13", moins restrictif, et a déjà rapporté 20 millions de dollars au box-office en dix semaines.

Claudine Mulard

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.03.05

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