logolibePar Michaël HAJDENBERG
lundi 20 juin 2005

"Le Caméléon" dit avoir déjà passé la moitié de sa vie adulte en prison. Et s'en fiche. "Rien ne m'arrêtera, je vis pour ça." Il ne s'arrête jamais. Prépare ses scénarios, sauf quand l'occasion fait le larron. Comme prês de Pau, à Orthez, où, le mois dernier, des touristes nantais s'intéressent à lui en raison de son écharpe de foot. Il leur raconte une histoire horrible, se prétend orphelin, leur "fait pitié". Les touristes appellent les services sociaux ; la machine est en route. "D'habitude, pour qu'on s'intéresse à moi, je m'allonge sur une route. Parfois, je prends un air ahuri à l'entrée d'un hôpital." Mentir ne lui procure aucune sensation, "c'est naturel". Seul compte "le résultat" : être placé dans un foyer pour mineurs, où il espêre trouver des moyens de subsistance, "de l'amour, de l'affection ; exister, que des adultes prennent soin de moi". Il dit "courir aprês son enfance", lui qui a été abandonné par son pêre, élevé jusqu'à 12 ans par ses grands-parents et qui affirme avoir été l'objet de sévices sexuels par des voisins.

Ados avant tout. "Mon idéal, ce n'est pas d'avoir une femme et trois gamins. Je n'ai pas de vie sexuelle. Je veux juste vivre comme un adolescent." Un objectif de plus en plus difficile à tenir. Non seulement, le monsieur vieillit. Mais il est connu de toutes les polices d'Europe. Au gré des circonstances, Frédéric s'est mué en Peter, Jimmy, Robin ; à Pau en Francisco Hernandez Ferandez. Il a été de nationalité espagnole, américaine, suédoise, allemande, italienne. A fréquenté plus de 150 foyers à travers le monde. Est fiché à Interpol. Partout des médias lui ont consacré des reportages. Et il continue à accorder des interviews, conscient pourtant de se tirer une balle dans le pied. "Mais ça me stimule. Je ne recherche pas les médias, je ne les fuis pas." Il en assume les conséquences. "Je suis passé à la télévision. Pour l'instant, ce serait stupide d'entreprendre quoi que ce soit en France. On me reconnaîtrait." C'est déjà ce qui l'a perdu à Pau. Un dimanche soir, sur France 3, Fogiel consacre un sujet aux mythomanes, une surveillante du collêge le reconnaît. Claire Chadourne, la principale du collêge, n'y croit pas : "Dans son récit, il était cohérent et avait réponse à tout.". Sa casquette n'est pas censée cacher sa calvitie mais des cicatrices, nées d'un accident de voiture où ses parents sont morts. Son 1,75 mêtre ne choque pas pour son âge. Francisco a une démarche d'ado, une voix d'ado, une écriture d'ado.

Quand la surveillante lui suggêre la ressemblance avec Frédéric Bourdin, la principale du collêge doute. Sur le Net, elle reconnaît les mâchoires carrées, et le culte de Michael Jackson. Elle appelle la police, qui lui passe les menottes. "Sa voix est devenue grave et il a dit : "Je veux un avocat." C'était clair." Comme toujours, le mensonge avait pris : "A la personne qui me trouve, je dis que les flics me renverront dans le foyer que j'ai fui, où je suis maltraité. Parce que la police connaît tout de moi : mes empreintes, mes tatouages, et le reste. Il faut donc que ce soient les services sociaux qui soient prévenus." Puis il prétend avoir perdu ses papiers, s'invente un nom de famille, "le plus commun possible". Puis mise "sur la chance et sur Dieu".

Rajeunir. Bourdin vivote. Ne supporte pas les petits boulots. Jamais il n'aura les moyens de son "rêve" : la chirurgie esthétique pour rajeunir et effacer ses empreintes. Bourdin, qui se dit "gentil, généreux", "méprise" sa famille. Il ne compte que sur lui, mais assure penser aux autres. "Je ne provoque pas de souffrances."

Au collêge de Pau, beaucoup se sont sentis trahis. "Pas les enfants", dit-il. Certains lui envoient des SMS, veulent le revoir. La plupart le décrivent comme "trop adorable", "trop pas violent", "trop balêze en cours". D'autres ne comprennent pas "pourquoi il cherche à être avec des enfants". Son culte de Michael Jackson crée des amalgames. Frédéric Bourdin n'a pourtant jamais été soupçonné de pédophilie. En revanche, il lui est reproché d'avoir fait souffrir des familles. A deux reprises. En Espagne, il s'est prétendu l'enfant disparu d'une famille américaine, qui, à sa grande surprise, le reconnaît ou feint de le reconnaître pendant trois mois, pour des raisons que le journaliste Christophe D'Antonio juge obscures (1). Le caméléon sera condamné au Texas à six ans de prison. Il s'y fera passer pour un Mexicain, histoire d'intégrer un gang. A son retour à Grenoble, il tente un coup un peu identique, mais son ADN le trahit avant que la famille ne soit prévenue. Dans cette affaire, il sera jugé en septembre, avant son procês de Pau, pour "possession et utilisation de faux". En attendant, il ne sait ce qu'il fera. Comme seul bagage, il transporte un sac à dos violet, dont la trousse de toilette occupe la moitié de l'espace. S'y entassent des parfums, "pour la fraîcheur". Et des crêmes épilatoires, pour garder une peau d'ado.

(1) Le Caméléon, éditions Patrick Robin.

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