logolibePar Roland HUREAUX

Toujours déterminante à long terme, la variable démographique l'est particuliêrement dans la crise du Proche-Orient. Le retrait de l'armée israélienne de Gaza est l'occasion de rappeler quelques données fondamentales qui conditionnent l'avenir de cette région.

D'aprês les derniers chiffres connus (1), l'Etat d'Israël est peuplé de 7,1 millions d'habitants (y compris la minorité arabe : 1 million environ), les Territoires palestiniens de 3,8 millions d'habitants (y compris les colons juifs : 0,2 million). Cela sur un espace restreint : 21 946 km2 (27 752 km2 avec les territoires annexés) pour l'Etat d'Israël, 6 242 km2 pour la Palestine (dont 363 km2 pour la bande de Gaza).

Le taux de fécondité d'Israël est de 2,9, celui des Territoires palestiniens de 5,6 enfants par femme.

Le taux de croissance naturel (différence entre la mortalité et la natalité) de la population d'Israël, qui résulte en partie du taux de fécondité, est de 1,5 % par an, celui des territoires occupés de 3,4 % par an.

Il est facile à partir de ces données de voir quand les deux populations s'égaliseront : vers 2035, autour de 11 millions d'habitants, cela, sous réserve des mouvements migratoires. Mais aprês l'explosion de l'Union soviétique, on ne voit pas de quel nouveau vivier d'immigrants dispose désormais Israël.

Si ces données sont bien connues, la singularité croissante de la démographie palestinienne par rapport à celle du monde musulman, qui explique en partie ces évolutions, l'est moins.

Ce taux de fécondité, qui était il y a vingt ans le même que le reste du monde musulman, voire des pays du tiers-monde, se trouve aujourd'hui sensiblement plus élevé : seul l'Afghanistan (6,8) et le Yémen (6, 2), deux Etats particuliêrement arriérés, se trouvent à un niveau supérieur.

Or ce taux ne baisse guêre, alors que l'ensemble du monde arabe et musulman - comme le reste de la planête - voit depuis quelques années son taux de fécondité s'effondrer à un rythme rapide. C'est en particulier le cas de la plupart des pays du pourtour méditerranéen : l'indice synthétique de fécondité n'est plus que de 2 en Tunisie (soit au-dessous du seuil de renouvellement), 2,2 au Liban, 2,4 en Algérie, 2,4 en Turquie, 2,5 au Maroc, 2,5 dans les Emirats arabes unis, 3,2 en Egypte, 3,4 à Oman, 3, 7 en Jordanie et en Syrie. Dans l'Iran des ayatollahs, la fécondité a chuté, ô paradoxe, de 7,0 en 1980 à 2,1 aujourd'hui.

Que la fécondité se maintienne si haut dans les Territoires palestiniens est d'autant plus surprenant que les Arabes de Palestine représentaient, il n'y a guêre, la partie la plus évoluée, la plus éduquée du monde arable, à l'instar des Libanais ou des Tunisiens. Ils auraient donc dû être les premiers à s'engager dans la voie de la modernité démographique, qui se caractérise un peu partout dans le monde, suivant le modêle européen, par la baisse de la fécondité.

Avec un taux de fécondité de 2,9, l'Etat d'Israël présente aussi, à un moindre degré, une singularité par rapport aux pays de niveau de développement comparable : 2,1 aux Etats-Unis, 1,9 en France et 1,4 en moyenne en Europe. Le caractêre composite de la population de ce pays (forte minorité arabe, immigrés récents venus d'Afrique et surtout composante ultrareligieuse) n'explique pas tout : la bourgeoisie ashkénaze, qui vote généralement à gauche, a elle aussi une fécondité supérieure à celle de ses homologues européens, autour de 1,8.

Dans le cas des Israéliens comme dans celui des Palestiniens, la situation de belligérance et la conscience qu'une course de vitesse démographique est engagée peuvent pousser vers le haut le taux de fécondité, insuffisamment cependant en Israël pour que les Juifs résistent à terme à la marée montante des Arabes. La surnatalité n'est d'ailleurs pas un effet automatique de la guerre : dans les pays de l'ex-Yougoslavie, la situation de belligérance s'était accompagnée d'un effondrement de la fécondité.

Une autre singularité du Proche-Orient est le cas de l'Irak, où la fécondité est elle aussi demeurée à un niveau três élevé : 5,1, totalement en décalage par rapport à celle de ses voisins, notamment l'Iran : 2,1, alors qu'il y a environ quinze ans, ces deux pays se trouvaient à peu prês à égalité. Là non plus, la situation de belligérance n'explique pas tout puisque l'Iran, qui eut pendant toute cette période un régime non moins belliqueux que l'Irak ,a connu, lui, une évolution "à l'occidentale".

Il faut certes faire la part d'une politique nataliste délibérée, dans le cas des Juifs religieux et de l'Autorité palestinienne au temps de Yasser Arafat, peut-être même du régime de Saddam Hussein. Mais la donnée la plus décisive est sans doute économique. Le décalage de l'Irak par rapport à ses voisins s'explique d'abord par la stagnation, voire la régression économique de ce pays, due principalement aux sanctions imposées par les Nations unies à partir de 1990.

De même, la stagnation économique des Territoires palestiniens, notamment celle de la bande de Gaza, explique pour une part le maintien d'un taux élevé de fécondité. Quand le développement est réel, au contraire, comme dans le cas de l'Iran et de la Turquie, la fécondité baisse, quelle que soit l'attitude des pouvoirs publics.

Il résulte de ces considérations que la survie à long terme d'Israël ne dépend pas seulement d'une pacification sur le terrain. Le développement économique des Territoires palestiniens, et singuliêrement de la bande de Gaza, est devenu une urgence : c'est la seule maniêre d'en assurer la normalisation démographique. Cela implique que soit levé le blocage du port de Gaza. Les fonds nécessaires, notamment européens et arabes, existent en abondance, l'esprit d'entreprise des Palestiniens n'a rien, historiquement, à envier à celui des Libanais. La seule maniêre que Gaza, dont la densité de population dépasse les 2 500 habitants au kilomêtre carré, ne devienne un foyer hautement explosif au flanc d'Israël est d'en faire rapidement un nouveau Beyrouth ou un nouveau Hongkong.

(1) Population et sociétés nº 414, juillet-août 2005 ; données issues du Population Reference Bureau.

Dernier ouvrage paru: le Temps des derniers hommes (Hachette, 2000).

article original