logolibePar Annette LEVY-WILLARD (Los Angeles)

George W. Bush regardait-il la télévision ? Ou continuait-il de faire du vélo dans son ranch, situé à une heure de vol des naufrages de La Nouvelle-Orléans ? Comment a-t-il réussi à ne pas voir ces images de grappes humaines accrochées à un toit, hurlant au secours ou enfermées sans eau et sans nourriture, aux côtés de cadavres laissés sur leurs fauteuils roulants que les télévisions américaines ont montrés en direct à toute l'Amérique et au monde entier ? En tout cas, au bout de quatre jours, Bush a compris qu'il était temps d'aller faire un tour sur place, à Baton Rouge.

Ressuscitant de leur torpeur patriotique aprês le choc des attaques du 11 septembre et leur embrigadement dans l'armée sur le champ de bataille en Irak, les télévisions américaines ont révélé le drame qui se déroulait en Louisiane, leurs journalistes découvrant et vivant le désastre des 200 000 personnes abandonnées à leur sort.

"Washington, vous regardez ?" Partis couvrir un ouragan avec les habituelles images de reporters trempés parlant sous la pluie et le vent, les journalistes se sont trouvés devant une autre réalité. Ils ont vu monter les eaux, les gens appeler au secours, la faim, la soif, l'inhumanité et la mort. Et ont chroniqué les événements malgré les difficultés techniques d'une zone coupée du monde, sans électricité et sans téléphone. Transformés soudain en reporters d'une guerre sur leur propre sol qu'ils n'avaient jamais imaginée, ils ont transmis leur choc aux Américains et à la classe politique.

On a vu les stars des news, comme Brian Williams (NBC, propriété de General Electric), sur le terrain à La Nouvelle-Orléans, épuisé, se mettre en colêre : "J'ai vu des cadavres... J'ai vu l'atroce désespoir dans les yeux des gens qui allaient mourir... J'ai vu des choses que je pensais ne jamais voir aux Etats-Unis." Pendant qu'un reporter de NBC, Martin Savidge, constatait, incrédule : "Ce n'est pas l'Irak, ce n'est pas la Somalie... C'est chez nous." Ahuri par le silence et l'indifférence du pouvoir politique, sur fond d'images de gens hagards et en larmes, le journaliste Brian Williams (NBC) n'a cessé, pendant quatre jours, de questionner : "Washington, vous regardez ? Vous entendez ?" Washington n'entendait pas. Sur CNN, Chris Matthews criait lui aussi "Où sont les bus ? Où sont les secours ?" tandis que le calme Wolf Blitzer sortait de sa réserve et osait poser une question hallucinante : "Quand on est noir, on doit mourir, dans ce pays ?"

Habituellement conformistes et respectueuses du pouvoir, les grandes chaînes américaines se sont transformées en machines de guerre contre Bush et son administration. ABC (propriété de Disney) et les autres networks ont ainsi coupé l'écran en deux quand Bush ou un officiel parlait : d'un côté le discours, de l'autre la vérité, avec les images des enfants mourant de faim et de soif, des morts sur le sol... En larmes ou en colêre à l'antenne, les journalistes ont pu s'exprimer. On a vu un reporter pouvoir dire face à la caméra : "Je comprends les pilleurs de magasins, à leur place, je ferais pareil..."

Quatriême pouvoir. Toutes les grandes chaînes ont changé leurs programmes pour suivre pendant toute la semaine le drame de Katrina - regardé par un nombre record de téléspectateurs - et elles se sont aussi mobilisées pour des concerts de soutien, des appels à récolter des fonds, des messages personnels pour aider les victimes à retrouver leurs familles. Même la três républicaine Fox News a cessé de ne parler que des pillages et de l'insécurité, comprenant que le scandale n'était pas dans les magasins dévalisés, qu'il était ailleurs.

Se substituant à des autorités absentes, les télévisions américaines ont fait un travail de service public. D'information et de contestation. Jouant à nouveau le rôle de quatriême pouvoir face au Président et à la classe politique.

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