Guillaume Dustan a été trouvé sans vie samedi 8 octobre, dans le petit studio parisien dans lequel il avait récemment aménagé. Guillaume Dustan, ce n'était pas son nom de naissance, mais celui de l'écrivain, du personnage ou plutôt de l'imprécateur médiatique poilu à perruque Sandy Shaw verte fluo, rapidement devenu un modêle pour des grappes de jeunes garçons et de filles se découvrant "anormaux" dans le Paris des années 1990 : pédés, gouines, drogués, tatoués... Ce "hors norme antibourgeois" qu'on a ultérieurement rassemblé sous l'épithête, devenue normative de "queer".

Né William Baranês en 1965, dans une famille juive bourgeoise de gauche, doué pour les études (plusieurs prix au Concours Général), il passe par la Khâgne d'Henri-IV, rate Normal Sup, entre à Sciences-Po et réussit le concours de l'ENA en 1988. Déjà le haut fonctionnaire magistrat est un garçon qui sort beaucoup quoique épisodiquement, porte pince à seins et plug dans le cul. Pendant sept ans, il y a la vie de jour et le vit de nuit. Il y a aussi le sida qui entre dans son existence, avec son cortêge de culpabilités. Séropo et déprimé, il part de Paris, obtient un poste à Tahiti et écrit "Dans Ma Chambre", qui paraît chez POL en 1996 sous pseudo et sans photographies.

Autopornographie
"Dans Ma Chambre" est le premier jalon d'une entreprise systématique d'autopornobiographie, où l'auteur parle cliniquement du cul, c'est-à-dire de son cul, de sa sexualité d'homosexuel contemporain, où l'on trouve autant de sueur, godes, back-rooms, boîtes, ecstasy et Special K, de sexe débridé ou contraint par des liens, des fouets, du sperme, des partouzes. Cet engagement à la premiêre personne caractérise alors aussi bien l'activisme politique, les arts visuels (Nan Goldin), que l'écriture. Guillaume Dustan est le contemporain en "autofiction" (un terme que les auteurs dénient) de Christine Angot. Catherine Millet n'a pas encore écrit sa "Vie Sexuelle de Catherine M.". De Dustan, paraissent ensuite "Je sors ce Soir", récit d'une seule nuit d'attente sous ecsta au Gay Tea Dance de la Loco et "Plus fort que moi", remontée dans le temps.

Polémiques
En même temps, il persuade le PDG de Balland d'ouvrir "Le Rayon Gay" (puis Le Rayon) une collection qu'il dirige et qui publie des premiers romans mais également "Peau", de Dorothy Allison ou "Les Monologues du Vagin" d'Eve Ensler, ou encore des essais, de Beatriz Preciado à Monique Wittig. Les polémiques débutent, notamment avec Act Up, sur le thême du "baiser sans capotes". En même temps, Guillaume y va. Il va à la télé, explose ou ne dit pas un mot. Il va, avec ses auteurs, à Beaubourg par exemple : la "performance" est un art contemporain. Nicolas Pages, Génie Divin, LXir ponctuent sa lutte contre l'hétérosexisme, l'orthographe, l'intelligentsia en général et celle des gays en particulier.

Son congé de l'administration prenant fin, il réintêgre, mauvais jeu de mots, son corps d'origine et part pour Douai, en tant que juge au tribunal administratif, avec sa collection de milliers de disques vinyle. Il commence à travailler à une bio d'Andy Warhol, quitte Douai. Ses derniers ouvrages s'appellent "Dernier Roman" (2004) et "Premier Essai" (2005), constat qu'il n'y a peut-être plus grand chose à raconter dans notre monde, pour quelqu'un qui se qualifie de "séropo, dépressif et paresseux". Depuis quelques semaines, cependant, tous ses amis rapportaient que William allait bien. Il est mort d'une intoxication médicamenteuse et alimentaire lundi dernier à l'âge de 39 ans.

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"Pourquoi est-ce qu'on raconte des histoires, je ne sais pas moi. Je n'ai pas envie d'écrire des histoires. J'ai essayé et ça ne marchait pas. Et à un moment j'ai trouvé que j'avais une vie assez bizarre pour écrire dessus". Jusqu'au bout, l'existence de Guillaume Dustan aura été bizarre. Mourir d'une "intoxication médicamenteuse involontaire", comme l'affirme le communiqué, n'est pas banale. Son corps a été retrouvé jeudi par sa famille dans l'appartement parisien qu'il occupait depuis un mois. La date et les causes de sa mort ont été révélées par une autopsie.

A 40 ans, Guillaume Dustan aurait pu travailler dans un cabinet ministériel ou dans une grande entreprise. En effet, aprês de brillantes études à Sciences-Po, il rejoint l'ENA. Trajectoire jusque là classique. Il débute ensuite une carriêre de juge administratif. Mais en 1990, sa vie bascule. Il se découvre séropositif et décide de tout plaquer. Ce fils de psychanalyste se met à écrire. Il raconte sa vie dans trois romans autofictionnels qui paraissent chez POL en 1996, 1997 et 1998. Son premier livre, "Dans ma chambre", fait sensation. Il y parle pour la premiêre fois de relations sexuelles non protégées entre homosexuels. Le " barebacking " fait son apparition médiatique dans le Paris des années 90.

"Je me révêle".

Qualifié par un critique "d'alter Angot", il note alors : avec Christine Angot, "on ne nous aime pas. Parfois si, mais bon, localement, c'est plutôt la haine et le souhait de mort qui prédominent. Bon pourquoi ? Parce qu'on parle de notre vie, je pense. Si j'écrivais de la fiction, je crois qu'il n'y aurait pas ce truc. Je me révêle".

En 1999, il reçoit le prix de Flore pour "Nicolas Pages", paru chez Balland, maison d'édition où il crée une éphémêre collection de littérature gay et lesbienne, "Le Rayon gay". "Bien sûr, je fais du militantisme homo avec ces livres, mais aussi du militantisme en faveur d'une forme de vie underground", disait-il à propos du "Rayon".

Dans "Génie divin" (2001), journal intime foisonnant, il revient sur la polémique qui l'a opposé fin 2000 à une partie de la communauté homosexuelle aprês avoir écrit que "la capote ne pourra jamais être la rêgle en matiêre de sexualité". "Il faut l'empêcher de dire ce qu'il dit", lui a répondu l'association de lutte contre le sida Act-Up. Guillaume Dustan a écrit au total six livres, dont le dernier, "Dernier roman", a été publié en 2004 chez Flammarion.

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