Le titre de votre livre est assez alarmiste. Pourquoi souhaitez- vous alerter la société ?
Parce que je fais partie des gens qui ne voient pas comment on peut se passer de l'énergie nucléaire, exactement comme on ne peut pas se passer du feu, même si c'est dangereux. Or, si aprês l'accident de Tchernobyl, en 1986, on avait pu observer un grand progrês dans le souci de sécurité des centrales, on découvre aujourd'hui que la bêtise humaine, la prétention et l'absence de communication sont à nouveau en train de faire de gros dégâts.

C'est-à-dire ?
Que penser de cette firme américaine qui, sur dix-sept réacteurs, en compte douze en panne et a besoin de 1,5 milliard de dollars pour les réparer ? Bien plus grave : en avril dernier, dans une usine de retraitement du complexe nucléaire britannique de Sellafield, on a découvert qu'une fissure dans un tuyau avait provoqué, en neuf mois, la fuite de plus de 80 m3 d'une solution de déchets hautement toxiques contenant 20 tonnes d'uranium et 200 kilogrammes de plutonium ! Et que cette catastrophe coûtera la bagatelle de 5 milliards d'euros !

Que faut- il faire selon vous ?
Donnons- nous comme objectif de mondialiser le contrôle de la sécurité nucléaire ! Je suis três heureux que le prix Nobel de la paix ait été attribué cette année à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), à Vienne. Elle essaie surtout d'empêcher la prolifération militaire en contrôlant toutes les centrales et, notamment, la façon dont on traite le combustible. Mais ses moyens sont dérisoires.
Il faudrait lui en donner dix fois plus, avec pour mission de s'occuper de la sécurité.
Je souhaite la mise en place d'un systême de contrôle géré par l'ONU, parce que cela concerne l'humanité tout entiêre.

Vous allez même jusqu'à prôner l'abandon de souveraineté pour un contrôle plus efficace...
Je suis pour la fin de la souveraineté nationale totale. Si un gazier - quel que soit le bonhomme et où qu'il se trouve - est soupçonné de fabriquer des armes biologiques ou de faire des choses dangereuses avec l'énergie nucléaire, je suis partisan d'une intervention rapide et vigoureuse.

À propos de la privatisation d'EDF, vous confirmez n'être ni pour ni contre ?
C'est un faux débat. La centrale de Tchernobyl était publique. Celle de Three Mile Island aux Etats-Unis, qui a connu un grave accident en 1979, était privée. Ce que je veux, c'est que le contrôle échappe complêtement au fabricant d'électricité.
J'aimerais bien que ceux qui supervisent la sécurité des centrales ne soient pas en même temps juge et partie.

Mais la sécurité nucléaire n'est pas, à vos yeux, la principale source d'inquiétude...
Le vrai problême pour l'humanité, c'est de disposer d'une source d'énergie qui ne produise pas la pire des catastrophes possibles : le changement climatique, qui jettera à terme des centaines de millions d'habitants des pays les plus pauvres vers les frontiêres des plus riches. C'est bien ça, le danger imminent. Je considêre que ceux qui, comme les Américains, n'ont pas signé le protocole de Kyoto sont absolument méprisables, et qu'il faut trouver un moyen de les y contraindre, par le boycott si besoin.

Dans votre livre, la légende d'un dessin de Sempé dit pourtant que "L'avenir est dangereux, mais pas forcément sombre"...
Oui. Vous savez, je consacre aujourd'hui 90 % de mon temps à l'opération La main à la pâte, qui, grâce à de três nombreux enseignants, vise à promouvoir les sciences à l'école. A mes yeux c'est três important parce que, sans éducation, le monde finira gouverné par des gourous obscurantistes.

Interview recueilli par Luc Brunet, paru dans le quotidien 20 minutes le lundi 14 novembre 2005