À force de faire du vélo, la factrice de Marssac (Tarn) a fini par décrocher le maillot jaune de la précarité. Christiane, 58 ans en juin, a en effet accumulé 574 contrats à durée déterminée (CDD) en quinze ans. C'est en septembre 2005 seulement que, ne recevant plus de la Poste aucun appel, l'éternelle "rouleuse" remplaçante s'est décidée à saisir les prud'hommes. L'affaire, qui devait être jugée hier à Albi, a été reportée au 10 mai.

Apaisement. Nous n'avons pas le chiffre officiel: l'administration régionale du courrier dit ne pas avoir fait le décompte des CDD de la factrice de Marssac. Elle ne veut pas entrer dans le détail de cette affaire. Du coup, elle ne précise pas non plus les raisons qui l'ont amenée à battre ce record d'infractions au code du travail. Un de ses porte-parole tente plutôt l'apaisement : C'est un dossier três particulier, três complexe. Cette dame a eu 19 propositions d'emploi à plein temps de notre part et elle n'en a accepté aucune. En stratégie, cela s'appelle un renversement de l'attaque. Le coup ne serait pas mal joué. Sauf que Christiane y oppose tout de suite un second assaut : la premiêre de ces 19 propositions ne lui est arrivée qu'en 2004. Aprês quatorze ans de travail dans la précarité alors qu'elle avait déjà 55 ans. Les arguments de la Poste sont plutôt faibles, moque Thomas Barba, cadre délégué CGT de la maison et avocat de la factrice. Il explique pourquoi cette entreprise de l'Etat a pu rester aussi longtemps dans l'illégalité : depuis la loi du 2 juillet 1990, qui a fait de cette administration une entreprise, la Poste gêre ses affaires en termes de coûts avec tout le cynisme des multinationales, peste-t-il. Il lui reviendrait ainsi moins cher d'être condamnée de temps à autre par les prud'hommes et de se payer des avocats que de s'en tenir au code du travail et de régulariser ses précaires... Voilà comment l'Etat aujourd'hui ne respecte pas le droit, conclut le cégétiste.

Christiane ne veut pas retrouver ses tournées de factrice à coups de contrat à durée déterminée de un à quinze jours. Le téléphone pouvait sonner le matin à 6 h 30 pour un remplacement le jour même à 7 heures, dit-elle. Aprês 574 coups de fil de la direction du bureau de Marssac, la factrice est fatiguée. Si elle a refusé les emplois qui lui ont effectivement été soumis à partir de 2004, c'est, dit-elle, parce qu'ils étaient trop éloignés dans les départements voisins. Il y en a eu dans l'Aveyron et même à Cahors dans le Lot. Il y en a eu, aussi, de beaucoup plus rapprochés de son domicile. Mais, à 56 ans à l'époque, je n'avais plus le courage de réapprendre de nouvelles tournées. Trois appels d'offres ont encore été affichés dans les bureaux de Marssac auxquels "cette dame n'a jamais répondu, se défend l'employeur. Ils ne savent plus quoi inventer pour se tirer d'affaire, s'insurge Thomas Barba. Il ne s'agissait en fait que de propositions d'emploi pour deux heures de tri du courrier en fin d'aprês-midi."

Retraite. Une réorganisation de la Poste a interrompu en septembre 2005 les tournées que Christiane assurait plus ou moins réguliêrement. Mais le systême des CDD se serait poursuivi, avoue-t-elle, elle n'aurait jamais songé une seule seconde à aller devant les prud'hommes. Le délégué Thomas Barba reprend au vol : C'est justement là-dessus que la Poste compte. Les précaires préfêrent garder leur travail. S'ils se plaignent de leur situation aux prud'hommes ou aux syndicats, ils savent qu'il ne sera alors plus fait appel à eux.

En attendant, il n'y a plus de travail pour la factrice. Et, à prês de 58 ans, les perspectives de retraite ne sont guêre réjouissantes puisque ses quinze ans d'ancienneté ne sont pas pris en compte : Pour l'entreprise, c'est comme si j'étais entrée la semaine derniêre. C'est pour obtenir réparation et rétablissement de [ses] droits que Christiane a décidé d'amener son employeur devant les juges. Lesquels n'ont donc pas entendu la plaignante hier pour cause de demande de report. Demande conjointe des deux parties, insiste la Poste. Ce n'est absolument pas vrai, rétorque Thomas Barba. Alors que j'ai fourni au plus tôt les documents nécessaires à la partie adverse, je n'ai toujours rien reçu de sa part. Je trouve inadmissible que la Poste ait choisi de faire traîner cette affaire. Le tribunal lui a donné raison hier et a indiqué que l'audience du 10 mai ne souffrirait aucun report.

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