Tout a commencé avec un assistant de 25 ans qui a "remixé" une bande annonce de shining. Suite au succès de l'expérience, d'autres ont suivi:

Pour info, voici le fichier original shining chez ps260, et cette même vidéo chez dailymotion , ou cherchez shining chez www.youtube.com. Lire aussi the shining redux et consultez le concours de freeculture.


Source : article paru dans le supplément de libération "écrans" du 20 mai 2006 :

Les bandes-annonces passent au mixer.

«Brokeback to the Future», «Spongeback Mountain»... Nouveau terrain de jeu des internautes, le REMIX DE TRAILERS: une pratique qui peut mener les APPRENTIS MONTEURS jusqu'aux studios d'Hollywood.

On pressentait un fort potentiel de blagues graveleuses dans le sillon du mélo scout à succès Brokeback Mountain. La vague parodique qu'il a suscitée sur le Net le confirme. Les internautes se sont mis à remixer frénétiquement les bandes-annonces du western gay à toutes les sauces. Ifilm, le portail vidéo américain, a créé une rubrique spéciale compilant le meilleur - et le pire. Initiateur inégalé, le Brokeback to the Future, de Chocolate Cake City (lire témoignage plus bas). Cette troupe de jeunes comédiens a imaginé à partir de morceaux choisis de la trilogie SF Retour vers le futur, une romance inavouable entre Marty McFly (Michael J. Fox) et l'excentrique Doc (Christopher Lloyd). Astucieuse, efficace et drôle, cette bande-annonce a été vue par plus d'un million d'internautes et a inspiré de multiples dérivés, plus ou moins élégants, appliquant invariablement les mêmes recettes. Star Wars: The Empire Broke Back dévoile l'histoire d'amour secrète entre les fameux robots C-3P0 et R2-D2, et Top Gun 2: Brokeback Squadron les relations ambiguës entre Tom Cruise et Val Kilmer. Quant à Spongeback Mountain, il lève définitivement le doute sur l'homosexualité présumée de Bob l'Éponge quand Brokeback Penguins suggère des pratiques coupables entre palmipèdes fornicateurs.

Le mash-up (carambolage de deux œuvres a priori incompatibles) est l'une des pratiques les plus populaires du réseau. Jusque-là cantonnée à la musique, elle s'étend désormais à la vidéo. Même si le phénomène n'est pas nouveau (Apocalypse Pooh, qui utilise Winnie l'Ourson avec les dialogues d'Apocalypse Now, date de 1987), il se généralise, les outils et les logiciels permettant aujourd'hui à chacun de manipuler, mixer, remonter facilement et à moindre coût tout avec n'importe quoi et le diffuser largement.

Dernier terrain de jeu des internautes: les remix de bandes-annonces dans la foulée de Shining en octobre. L'auteur, Robert Ryang, 25 ans, transforme l'horrifique film de Kubrick en aimable comédie familiale. «J'ai participé à un concours organisé par l'AICE (Association des monteurs créatifs indépendants, ndlr), qui consistait à remonter une bande-annonce parmi sept classiques au choix. Quand j'ai vu que The Shining était l'un des films proposés, j'ai immédiatement associé les images de Nicholson au morceau de Peter Gabriel, Solsbury Hill. Ça m'a fait rire et ça m'a donné l'idée de transformer ce film d'horreur en son extrême opposé. » Le succès est immédiat. «Des milliers de personnes visitaient le lien chaque heure. Je n'ai vraiment rien fait pour le promouvoir, mais notre culture virale s'en est chargée» (lire ci-contre).

Pour Demis Lyall-Wilson, 29 ans, monteur free lance à Sydney, remonter ces bandes-annonces revient à mettre en évidence les ficelles des gros studios. «La bande-annonce stéréotypée est un truc très américain, estime l'auteur, qui a transformé la comédie romantique Nuits blanches à Seattle en thriller angoissant. Il y a une recette unique qui s'applique à presque tous les films hollywoodiens. Ce n'est pas le cas en Europe, en Australie et en Asie, sauf s'ils veulent vendre leurs films aux Etats-Unis.»

Robert Ryang se rend compte de la popularité de sa bande-annonce lorsqu'un directeur de Warner Brothers le contacte au travail. «J'ai d'abord cru que le studio voulait me faire un procès. En fait, il disait être intéressé par mes idées et mes futurs projets. Seul l'agent de Jack Nicholson a soulevé le problème du copyright, me prévenant que Warner Bros pourrait me tomber dessus. Mais personne ne s'est jamais manifesté. De toute façon, je ne pensais pas que ça pourrait les offenser, parce que ce n'est pas de Shining dont je me moque mais des films hollywoodiens débiles en quoi je l'ai transformé.»

Ce qui ne rend pas la chose légale pour autant, d'où la prudence de la plupart des auteurs de mash-up qui gardent l'anonymat. On peut s'étonner néanmoins de l'absence de poursuites. Une tolérance qui n'étonne pas Demis. «Ce n'est que le début de cette forme de "garage art". Les maisons de disques ont récupéré les mash-up audio. Ce n'est qu'une affaire de temps pour que les studios s'y mettent à leur tour. C'est de la publicité gratuite pour eux, et moi ça ne me rapporte pas d'argent.» Lui a choisi de mettre son adresse à la fin de sa bande-annonce, espérant qu'une boîte remarque ses talents et le contacte.

Dans le milieu, justement, les réactions sont plutôt positives. « Shining est vraiment à mourir de rire, mais c'est Brokeback to the Future mon préféré, on se les envoie au bureau, s'enthousiasme Benedict Coulder, président de Trailer Park, l'une des plus grosses boîtes spécialisées dans les bandes annonces hollywoodiennes. On ne va pas poursuivre le gars en justice mais plutôt essayer de le retrouver pour l'embaucher.» Même si ce dernier se moque ouvertement de leur travail? «Tout ça, c'est très innocent, il y a un effort artistique, et ça vient après la sortie du film.» Hollywood a d'ailleurs commandé le premier mash-up officiel du nouvel Antonio Banderas, Take the Lead, au collectif de VJ londoniens Addictive TV, pour sa campagne de marketing.

Cette position très libérale n'est cependant pas partagée par tous, constate Fred Benenson, 22 ans, l'un des responsables de la branche Freeculture.org (organisation de promotion de la culture libre) à l'université de New York (lire son témoignage ci-contre), qui vient d'organiser un concours de remix de Matrix, Star Wars, le Seigneur des anneaux et Harry Potter pour attirer l'attention sur la question du fair use (grosso modo, l'équivalent de la copie privée en France).

«Les remix de films ne devraient pas être considérés comme des infractions au copyright et attirer l'attention sur les difficultés qu'ont les artistes à créer. A cause du Digital Millennium Copyright Act, les gens qui veulent remixer des DVD doivent nécessairement enfreindre la loi pour obtenir les fichiers numériques dans un format qu'ils peuvent éditer. Même s'ils ont l'intention de les utiliser pour quelque chose de légal comme la parodie. Si un DRM (cadenas numérique posé sur les œuvres et limitant la copie, ndlr) protège un fichier, un film ou un morceau de musique, personne ne peut le remixer, le réutiliser ou le recréer. Comme les DRM concernent de plus en plus de médias, c'était important de montrer que c'est la créativité et non la piraterie qui est réellement la cible.»

MARIE LECHNER (m.lechner@ecrans.liberation.fr)


ROBERT RYANG. 25 ANS, NEW YORK, MONTEUR DE FILMS, REMIXEUR DE «SHINING»

«JE NE MONTERAI JAMAIS DE PLUS BELLE PELLICULE»

«En transformant Shining en comédie familiale, le défi était de maintenir l'authenticité. Des gens qui ne connaissaient pas le film pensaient que c'était la bande-annonce originale. Le fait que ça ne les ait pas fait rire m'a conforté dans l'idée que c'était du bon boulot. J'aimais l'idée d'utiliser les conventions d'Hollywood pour chier sur l'état du cinéma américain grand public. C'était un exercice très amusant. Je voulais accentuer la dichotomie entre les images formatées actuelles et un film artistique comme Shining. C'est aussi probablement la plus belle pellicule que je monterai jamais. Depuis, j'ai fait deux autres trailers, Something Blue (à partir de Blue Velvet, de David Lynch, ndlr) et The Fast and the Curious, (tiré de The Fast and the Furious, de Rob Cohen, ndlr), à la demande de l'Independant Spirit Award (festival de cinéma indépendant américain, ndlr), mais, lorsque les organisateurs ont demandé le droit de diffusion, Universal et David Lynch ont refusé. En revanche, leur présence sur le Net n'a pas suscité d'objection. L'Internet a vraiment accru le terrain de jeu. C'est génial que n'importe quel môme désargenté, sans connexion, puisse potentiellement faire quelque chose salué internationalement. Je pense aussi qu'il y a plein de gens qui s'emmerdent au boulot...»

www.youtube.com/w/shlning?v=1J9ufqCoqyo&search=shining


FRED BENENSON. 22 ANS, L'UN DES RESPONSABLES DE FREECULTURE.ORG À L'UNIVERSITÉ DE NEW YORK

«SHAKESPEARE ÉTAIT UN REMIXER, DISNEY UN ARTISTE MASH-UP»

«Les étudiants, les auteurs, les créateurs n'utilisent plus des pinceaux pour s'exprimer. Ils utilisent les objets qui existent dans leur environnement, la musique qu'ils écoutent sur leur iPod, les images qu'ils voient à la télévision ou bien les films qu'ils regardent en DVD. Ce sont des outils culturels avec lesquels ils sont à l'aise, c'est naturel qu'ils les utilisent pour leur création. En général, l'art fonctionne comme un remix, parce que les artistes utilisent le travail d'un autre. William Shakespeare était un remixer, Walt Disney un artiste mash-up. Malgré ce qu'Hollywood veut nous faire croire, tous les films qui sortent empruntent à des oeuvres plus anciennes. L'art et la musique progressent en construisant à partir de ce qui a été créé par le passé, pas en réinventant la roue.»

www.freeculturenyu.org/filmremix


EVAN FLEISCHER. 20 ANS, ÉCRIT ET JOUE LA COMÉDIE CHEZ CHOCOLATE CAKE CITY

«UNE FORME DE SATIRE QUI VIENT DE LA BASE»

«Pat et Jonathan était en train de dîner chez des amis un soir et Pat lançait des idées pour de possibles bandes-annonces: "Brokeback Couch, Brokeback Charles River", et Pat a dit: "Brokeback to the Future." C'était parti. Ils avaient vu les remontages de The Shining et de Sleepless in Seattle, avant qu'ils commencent, puis ils se sont tapé tous les Retour vers le futur en une nuit. Notre troupe, Chocolate Cake City, tourne des videos, écrit, joue des sketches pour des spectacles et ce trailer en faisait partie. Après, on l'a mis en ligne et surprise! Construire des films qui n'existent pas, c'est comme jouer dans un bac à sable. C'est aussi une forme de satire qui vient de la base, que l'on s'envoie les uns aux autres, ça ne vient pas du sommet. Nous adorons la scène mash-up. Où d'autre pourrait-on trouver des reprises bossa nova des morceaux de Disney, une version techno si mauvaise de la Lettre à Elise que ça en donne le frisson, un discours de Bush réédité en train de débiter des sornettes au State of the Union? Même s'il y a beaucoup de choses décevantes, ça ne remet pas en cause le processus créatif.» www.ifilm.com/viralvideo/collection/brokebackspoofs