Septembre 2007

"Cela m'attriste qu'il soit politiquement incorrect de reconnaître ce que chacun sait : la guerre en Irak est largement une question de pétrole" écrit Alan Greenspan dans ses mémoires, The Age of Turbulences : Adventures in a new world (L'Age des turbulences : Aventures dans un nouveau monde). Une phrase, une seule, qui alimente toutes les discussions outre-Atlantique depuis que le livre est sorti. Pourtant, Greenspan le reconnaît lui-même, cela n'était un secret pour personne : Michael Moore n'avait-il pas consacré un film entier aux raisons troubles de l'invasion de l'Irak ? Même cette fois-ci, la révélation ne vient pas du camp adverse, du trublion de Hollywood, mais de l'ancien président de la Banque centrale américaine, républicain convaincu et ancien proche de George W. Bush.

Un pavé dans la mare de Bush

Quelques dates :

  • 1950 : maîtrise d'économie
  • 1977 : doctorat d'économie
  • 11 août 1987 : devient président de la Fed
  • 31 janvier 2006 : quitte ses fonctions
  • 17 septembre 2007 : sortie de ses mémoires

Aux Etats-Unis, cette unique phrase a suffi à semer le trouble dans les esprits. Avant même la sortie officielle du livre, après que l'Associated Press a révélée en exclusivité l'information, plusieurs sites Internet ont alimenté la polémique. Si bien que dès dimanche, l'administration Bush a dû démentir les révélations de Greenspan. Depuis, les deux camps s'affrontent par articles interposés. Le lendemain des révélations, le secrétaire à la Défense Robert Gates a déclaré : "C'est vraiment une question de stabilité dans le Golfe, d'États voyous qui essaient de développer des armes de destruction massive, de dictateurs brutaux". Lundi, dans une interview accordée au journaliste américain Bob Woodward pour le Washington Post, Greenspan est quelque peu revenu sur la phrase de son livre, disant que le renversement de Saddam Hussein était "essentiel " pour sauvegarder les réserves pétrolières du monde mais qu'il ne s'agissait pas de la raison déterminante de la guerre en Irak. Il a néanmoins affirmé dans le Wall Street Journal : "depuis 20 ans, Saddam s'acheminait dangereusement vers le contrôle du détroit d'Hormuz et, par conséquent, du marché pétrolier". Saddam Hussein aurait pu alors devenir le "Hugo Chavez du Moyen-Orient" et un grand danger pour l'économie américaine.

 

Ce n'est pas la première fois que d'anciens collaborateurs de Bush font des révélations troublantes sur la guerre en Irak. L'ancien secrétaire au Trésor Paul O'Neill a révélé que la peur de Saddam Hussein était préconçue et non appuyée sur des faits concrets : "dès le tout début, George Bush avait la certitude que Saddam Hussein devait s'en aller". Colin Powell, quant à lui, est largement revenu sur l'ampleur du danger que représentait le terrorisme pour les Etats-Unis.

Par ailleurs, Alan Greenspan ne s'en tient pas là dans ses critiques au système Bush. Il parle d'une gestion irresponsable des dépenses publiques et épingle le manque de discipline fiscale du président. "Ma plus grande frustration était de voir que le président refusait de mettre son veto aux dépenses hors de contrôle". Mais l'ancien président de la Fed n'est pas non plus inattaquable sur ces sujets.

Alan Greenspan, longtemps populaire, aujourd'hui décrié

Président de la Fed de 1987 à 2006, Alan Greenspan a fait pendant plus de 20 ans la pluie et le beau temps sur la politique monétaire américaine. Nommé par le président Ronald Reagan, il a été reconduit à ce poste par tous ceux qui l'ont suivi : George Bush, Bill Clinton et George W. Bush. A la tête de la Fed, il avait pour tâche principale de décider de la politique monétaire des Etats-Unis, avec pour objectifs de garantir la stabilité des prix et le plein emploi, et de faciliter la croissance économique. A ce poste, il a également supervisé le système bancaire américain.

Sous la direction de celui que l'on a surnommé "l'économiste des économistes" ou encore le "maestro", la Fed a mené une politique relativement accommodante, n'hésitant pas à injecter des liquidités dans le système bancaire et à maintenir des taux d'intérêt extrêmement bas pour faciliter la reprise économique. Une politique aujourd'hui largement critiquée, notamment depuis la crise des "subprimes" : plusieurs économistes l'accusent d'avoir encouragé les établissements bancaires à avoir des pratiques risquées qui sont à l'origine de la crise actuelle.

Un procès, semble-t-il, injustifié, dans la mesure où les faibles taux d'intérêt ont permis le plein emploi (les ménages américains se sont endettés pour faire construire des maisons et ont permis à de nombreux ouvriers de travailler). Quant aux pratiques liées à l'origine de la crise des subprimes, elles sont surtout liées au manque de prudence de certains établissements financiers ayant laissé leurs courtiers faire des prêts trop risqués : des initiatives qui ne sont guère imputables à la politique monétaire.

Depuis le départ de Greenspan de la tête de la Fed et surtout depuis la crise des "subprimes", le nouveau président de la Réserve fédérale américaine Ben Bernanke avait très fortement augmenté le taux directeur qui était passé à 5,25 %. Ces dernières semaines, il a esquivé toutes les questions sur la possibilité d'une baisse des taux d'intérêt. Mardi 18 septembre enfin, la Fed a baissé son taux directeur de 0,50 point. Beaucoup plus que ce à quoi s'attendaient les marchés financiers (un quart de point) : une décision qui a restauré la confiance sur les marchés internationaux.

Article original de Tâm Tran Huy, paru dans L'Internaute.