Au domicile de Mikey Weinstein, dans la banlieue d’Albuquerque, au Nouveau-Mexique, la baie vitrée du salon a été brisée à deux reprises par des tirs de balles. Il reçoit des coups de téléphone de types qui profèrent des menaces contre sa fille, de femmes qui lui récitent des ritournelles lui promettant une balle dans la tête et de tout jeunes gosses lui assurant qu’il brûlera en enfer. A ses nombreux ennemis, il rétorque : “Prenez un numéro et faites la queue.” Protégé par son garde du corps, un ancien marine au physique impressionnant, il n’a aucunement l’intention de déménager. Militaire lui-même, fils et père de soldat, Mikey Weinstein est un ancien juriste de l’Air Force. Il a servi à la Maison-Blanche comme conseiller juridique de Ronald Reagan et, depuis, a adopté une tactique de choc afin de s’opposer au prosélytisme chrétien au sein de l’armée américaine. “Dans notre armée, nous avons des talibans chrétiens et une Al-Qaida chrétienne”, affirme celui qui a créé la Military Religious Freedom Foundation [Fondation pour la liberté religieuse dans l’armée]. “Et, à la différence de Saddam Hussein, ils possèdent véritablement des armes de destruction massive.”

Ce boxeur amateur étant doté d’une carrure de garçon boucher et d’un crâne en forme d’obus, ses adversaires l’ont surnommé le “général en chef des armées impies de Satan”, mais ses amis préfèrent lui donner le sobriquet de “Ticktock” (Tic-Tac) et de “Motor Mouth” (Moulin à paroles). Au cours d’une de ses diatribes pimentées de jurons et débitées sur un rythme de mitrailleuse dont il a le secret, il a expliqué que “[son] boulot consistait à donner des coups de pied au cul, à noter des noms et à laisser des traces de morsures sur le poitrail de ces gens qui tentent d’enrôler la machinerie étatique au service de leur vision biblique du monde”. Mikey Weinstein est convaincu que les fondamentalistes chrétiens ne reculeront devant rien pour transformer l’armée américaine en une armée de Dieu. Il souligne que l’Officers Christian Fellowship [Amicale des officiers chrétiens], qui a mis en place des clubs dans toutes les grandes bases militaires américaines dans le monde, est animée par la vision d’“une armée spirituellement transformée, dotée d’ambassadeurs du Christ en uniforme habités par le Saint-Esprit”, comme le stipulent d’ailleurs les statuts de l’amicale. Selon Weinstein, à la suite des efforts déployés par ce mouvement, le christianisme fondamentaliste, dont la présence était encore négligeable au sein de l’armée américaine il y a vingt ans, est aujourd’hui partagé par 30 % des soldats américains. Il ajoute que beaucoup de ses membres – dominionistes [fondamentalistes chrétiens] et fanatiques de l’Armageddon – souhaitent ardemment que les Etats-Unis envahissent l’Iran, ce qui contribuerait ainsi à l’avènement de la prophétie biblique de la fin des temps.

A l’été 2007, il a révélé les plans du Pentagone visant à expédier aux soldats américains stationnés en Irak des “colis de la liberté” contenant des bibles, de la littérature prosélyte en anglais et en arabe, ainsi que des DVD de Left Behind: Tribulation Forces, un jeu vidéo dans lesquels les “soldats du Christ” traquent des ennemis qui ressemblent étrangement à des casques bleus onusiens. En partie grâce à ses efforts, ces colis n’ont finalement pas été expédiés. “Chaque fois qu’une foi virulente a tenté de s’infiltrer dans la machinerie étatique, selon les propres termes de la Cour suprême, cela s’est terminé dans un bain de sang”, rappelle-t-il.

Voilà pourquoi il ne cesse d’empiler des sacs de sable. Il a enregistré plus de 6 000 plaintes de soldats affirmant avoir été persécutés par les chrétiens évangéliques ; 95 % d’entre elles ont d’ailleurs été émises par des chrétiens modérés. Des informateurs l’ont aidé à identifier des officiers qui soutenaient publiquement un groupe évangélique et à débusquer un guide antisémite d’étude de la Bible sur le site Internet d’une base militaire. En septembre 2007, il a lancé une vaste procédure judiciaire contre le ministère de la Défense.

Ancien démocrate devenu républicain, Mikey Weinstein a servi de conseiller juridique à Ronald Reagan durant l’épisode de l’Irangate. Cela ne l’empêche pas de reprocher à l’ancien président d’avoir entrebâillé les portes de l’armée aux chrétiens évangéliques. Mais il en veut surtout à George W. Bush, qu’il accuse de leur avoir ouvert les portes en grand. Bush, dit-il, est un “être humain suboptimal”. Parmi les sympathisants de la Military Religious Freedom Foundation, on trouve des réfugiés des années Bush, comme David Iglesias (un des procureurs d’Etat révoqués en 2007) ou l’ambassadeur Joe Wilson (le mari de Valerie Plame, l’agente de la CIA contrainte de démissionner après que son identité a été révélée). “Beaucoup des faits que m’a rapportés Mikey m’ont paru extrêmement troublants du point de vue constitutionnel”, explique David Iglesias, lui-même chrétien évangélique. Joe Wilson, pour sa part, pointe certaines implications liées à la sécurité. “Ils font du prosélytisme non pas au nom de la Constitution des Etats-Unis et des intérêts du pays, mais en vertu d’une sorte de vision fanatique de la fin des temps. Ils utilisent l’armée des Etats-Unis pour atteindre leurs objectifs”, assure-t-il. Pour Weinstein, le combat a pris dès le départ une tournure personnelle. En 1973, au cours de sa première année à l’Air Force Academy de Colorado Springs, il trouvait fréquemment des messages antisémites dans sa chambre. Il avait pratiquement oublié ces incidents lorsque son fils Curtis entra à son tour à l’Air Force Academy en 2003 et découvrit que l’antisémitisme s’y était propagé. Des cadets et des officiers ont adressé à huit ou neuf reprises des remarques antisémites à son fils Curtis durant sa première année à l’académie. Il affirme même que, pendant un match de football, un cadet lui a demandé ce que ça lui faisait de savoir qu’il avait tué Jésus-Christ.

Mikey Weinstein tenta de collaborer avec la direction de l’académie afin d’assainir la culture religieuse de l’établissement, mais il se heurta à l’indifférence des généraux. C’est alors qu’il renonça à la diplomatie et créa sa fondation. Au départ, en 2005, elle ne comptait que 2 membres et opérait à partir de son propre domicile. Aujourd’hui, la fondation fait travailler l’équivalent de 25 salariés à plein temps. A la suite des campagnes qu’il a menées, l’armée de l’air a lancé une enquête sur l’académie de Colorado Springs. Cette enquête a corroboré de nombreux faits dénoncés par la fondation : le capitaine de l’équipe de football avait effectivement accroché dans les vestiaires une banderole portant l’inscription : “Equipe de Jésus”. Le général de brigade Johnny Weida avait bien enseigné à sa classe comment faire un “J comme Jésus”, tandis que 250 enseignants et officiers avaient signé dans le bulletin de l’académie une pétition déclarant : “Nous croyons que Jésus-Christ est le seul véritable espoir du monde.”

Depuis, l’académie a institué une session obligatoire portant sur la sensibilité religieuse, un conseil œcuménique des cadets et publié une brochure sur la religion à l’intention des commandants militaires. Mais cela n’a pas empêché l’académie de former une ou deux générations de chrétiens évangéliques qui propagent en toute impunité leur foi dans l’ensemble de l’Air Force, affirme Mikey Weinstein. Il en veut pour preuve la base aérienne Wright-Patterson, dans l’Ohio, à côté de laquelle, selon lui, Colorado Springs fait figure de repaire de l’ACLU [American Civil Liberties Union, Organisation américaine pour les libertés civiques]. Il raconte par exemple que, à l’occasion d’une cérémonie organisée pour un départ à la retraite, un lieutenant-colonel a ouvert une bible sur l’estrade et profité de l’occasion pour faire un sermon.

Mikey Weinstein poursuit sa lutte avec détermination. En octobre 2007, il est retourné à l’académie de l’Air Force de Colorado Springs pour la 30e réunion annuelle de sa promotion. Il était chargé de prononcer l’introduction. A peine avait-il commencé à parler qu’un condisciple s’est levé et a lancé : “Jésus-Christ !” Imperturbable, il a poursuivi son discours. En novembre, ses adversaires ont découvert qu’il avait organisé une réunion de collecte de fonds au profit de sa fondation au domicile de la militante Jodie Evans, à Los Angeles.

Quelques jours après, Jodie Evans recevait un courrier la menaçant d’un attentat. Weinstein a abandonné depuis longtemps l’espoir de voir les évangéliques au sein de l’armée devenir plus tolérants ou moins militants lorsqu’on leur oppose une argumentation calme et logique. La Constitution, dit-il, est la seule arme qu’on peut utiliser contre eux, et il pense que c’est une arme puissante. “Si vous n’êtes pas d’accord avec moi, leur dit-il souvent, vous n’avez qu’à aller le dire devant un juge.”


Biographie :

1955
Naissance de Mikey Weinstein.
1977
Il sort diplômé de l’Air Force Academy de Colorado Springs.
1977-1988

Juriste dans l’armée de l’air, puis conseiller juridique de Ronald Reagan à la Maison-Blanche.
2003
Son fils suit ses traces et entre à l’Air Force Academy de Colorado Springs.
2005
Il crée la Fondation pour la liberté religieuse dans l’armée et porte plainte contre l’armée de l’air pour prosélytisme.
2006
Sortie de son livre With God on Our Side – One Man’s War Against an Evangelical Coup in America’s Military (Dieu est à nos côtés – Le combat d’un homme contre un coup de force des évangéliques dans l’armée américaine).
2007
Il intente une action en justice contre le Pentagone.