Depuis sa disparition, je n’ai absolument jamais parlé de ma relation avec Coluche. Et à part cette interview, il n’y aura plus jamais rien d’autre nulle part. J’ai refusé systématiquement d’aller aux anniversaires de sa mort chez Drucker ou des livres à écrire sur lui… Pourquoi j’ai dit non ? Parce qu’il faut laisser partir les gens tranquilles. Et ce n’est pas la peine d’en rajouter quand tu sais tout!

La rencontre

Il y a longtemps, j’étais forain. Je défendais ma place à coups de barres à mine, j’étais déjà réactif. J’ai fait sa connaissance en 1976, aux Puces de Saint-Ouen, où je fus l’un des premiers à vendre de la vraie fripe américaine. J’avais une Harley. Un jour vient se garer juste à côté une petite soeur, une Harley 750 changement de vitesses au réservoir, une ancienne de l’armée mais peinte en jaune, avec un filet beurre frais et un réveil Mickey à la place du compteur. C’était la sienne. Je n’avais jamais entendu parler de lui, il n’était pas encore célèbre. Il avait déjà beaucoup de goût, un don esthète pour chiner meubles, objets, fringues. On a commencé à parler moto, je lui ai dit que sa Harley était d’enfer, il a regardé les sapes et il m’a acheté sa première salopette à rayures. Par la suite, il m’a envoyé ses potes du café-théâtre et c’est comme ça que je suis entré dans ce monde en tant que spectateur. Lorsque Martin Lamotte est venu m’acheter des chemises hawaïennes, il m’a demandé si je savais où dégotter un camion pour débarrasser des gravats. Résultat : je me suis retrouvé à construire un haut lieu du café-théâtre parisien, le Point Virgule. Coluche et Patrick Dewaere nous rendaient visite pendant les travaux, ils se pointaient avec des gâteaux à l’heure du goûter.

Le premier tournage

À l’époque, je ne m’imaginais pas du tout faire l’acteur. Lamotte me l’a proposé et Coluche m’a dit : « Fais-le, tu verras bien, la première fois, ça passe ou ça casse ! » Et c’est passé… Ensuite, je suis allé tourner pendant deux mois “Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine” (de Coluche, 1977), en premier rôle à ses côtés, alors que Lamotte n’avait que quinze jours de tournage. Quand je suis rentré à Paris, j’ai eu la désagréable surprise d’apprendre que j’étais exclu de la troupe, remplacé par Renaud. Motif: le tournage du film avait été trop long, comme si c’était de ma faute… Coluche m’a révélé qu’il lui était déjà arrivé la même chose, au Café de la Gare. Ça nous a encore rapprochés, et c’est ainsi que j’ai commencé à bosser avec lui. Je relevais les chutes, les phrases que j’entendais dans les bistrots, dans le genre des Brèves de comptoir, il m’encourageait à y aller à bloc. Et comme je n’avais plus rien, pour avoir vendu mon stand aux Puces, il m’a proposé de venir habiter chez lui. Coluche n’était pas fait pour le cinéma mais pour la scène. Il ne supportait pas l’attente entre deux prises, ça le rendait agressif, speed, violent. On ne terminait jamais un repas. À table, il criait soudain à un cadreur : «Ça te dirait de prendre ma purée dans la tronche ?! », et il balançait carrément le plat, l’autre lui renvoyant une louche pleine. Ce fut un tournage douloureux pour tout le monde, mais notre équipe ne pouvait pas lâcher le patron Coluche. Mon film préféré avec Coluche, c’est “Le Fou de guerre”, de Dino Risi. En général, tout le monde dit “Tchao Pantin”, mais je me souviens de Coluche m’expliquant: «Tu te rends comptes, Gérard, ces cons-là m’ont filé un César pour mon interprétation dans ce film alors que je n’ai strictement rien fait. On m’a juste filmé dans ma déprime… » C’est vrai qu’il allait très mal, à fond en même temps dans la cocaïne, l’héroïne et le pinard. »

La vie chez Coluche

J’ai habité chez lui pendant trois, quatre ans et on est restés liés pendant presque dix ans, jusqu’à sa mort. Ma vie avec Coluche, ce fut du plaisir à 1000%, des voyages en tournées de music-hall à quinze potes, la troupe, dans les plus beaux hôtels, des summums de rigolade, de la folie furieuse. On fumait des pètes, comme il le faisait souvent à la télé, parce que la provocation était son fonds de commerce. Aujourd’hui, il n’y a plus de provocateurs, il n’y a plus que des mecs qui veulent gagner de la thune. Coluche analysait tous les paramètres d’une carrière d’artiste au sens heureux du terme, comme la sienne l’est devenue. Lui qui, jeune, était mince, a compris dès le début qu’il lui fallait prendre 10 15 kilos pour devenir populaire. Après avoir engraissé, il a aimé bouffer. Quand on allait chez Bocuse ou chez Troisgros, on mangeait absolument tout le menu pour tout goûter. Grâce à Coluche, j’ai connu le haut de gamme, les putes deluxe, et il y avait chez lui les plus belles gonzesses de Paris. Cette ambiance n’existe certainement plus. J’ai vécu la véritable histoire du show-business avec la personnalité la plus connue de France, le champion du monde de l’intelligence. Ça m’a écoeuré d’entendre après sa mort que son entourage proche était une bande de gratteurs alors qu’on travaillait tous beaucoup. Tous les soirs de spectacle, on faisait la porte de la loge de Coluche, un boulot coquet. Moi: «Michel (Colucci, alias Coluche, ndlr), y’a un journaliste du Monde qui veut assister au spectacle, il n’a pas de billet, qu’est-ce qu’on fait ? » Le journaliste était à côté de moi. Réponse derrière la porte : « Qu’il aille se faire enculer ! » Au moment de la campagne électorale, en 1980, le climat a changé. Je ne reconnaissais plus le type qui, au départ, était ludique, passionné de bagnoles et de motos, toujours fourré au BHV. J’ai donc pris mes distances lorsque j’ai vu débarquer à la maison tous ces mecs du milieu politique, venant draguer l’homme qui intéressait 15% des gens ceux qui n’avaient plus le choix, chômeurs, blacks, pédés, etc. Mais en passant de l’autre côté, le clown devenait un chieur qui se prenait la tête. Parallèlement, ils lui ont tout fait, les plans les plus sordides, jusqu’à l’appeler pour lui dire: « On va trouver deux kilos d’héroïne derrière votre télé !» Lui répondait: « Mais j’en prends pas! » Eux: « Pas de problème, on l’a déjà, on s’en charge » Et nous, en partant de chez lui, on a dû passer d’une maison de 800 m2 avec piscine à des chambres de bonne. Je ne me suis plus jamais réinstallé me Gazan. On n’était pas fâchés, mais je ne servais plus à rien, d’autres mecs étaient arrivés pour prendre la place. Quand j’ai commencé à percer, Coluche m’a dit: « Vas-y, fonce, maintenant t’es un électron libre. » Je suis donc devenu un électron libre à tempérament coluchien, à savoir acquis à l’idée de garder sa personnalité sans concessions, croyant en ses propres valeurs. Pour preuve, un jour, Coluche reçoit chez lui à déjeuner le président de la République, François Mitterrand, à la demande de ce dernier. A la fin du repas, Coluche roule un gros joint. Mitterrand: « Mais qu’est-ce que vous faites ?! » Réponse: « Je me roule un pétard. » Mitterrand: « Devant moi?! » Coluche: « Ben oui, monsieur le président, je suis chez moi et je fais ce que je veux! » Mitterrand s’est cassé. Quand on a assisté à ça, on n’est plus très inquiet de rester soi-même. Coluche a découvert les drogues dures à 37 ans. La coke lui faisait du bien étant donné ses cadences infernales, mais l’héroïne l’a plombé cher… A la maison, il y avait beaucoup de dope qui tournait. J’y ai vu la terre entière, les Rolling Stones ou jack Nicholson, mais c’était très compliqué de rentrer chez nous. Tout le monde y allait pour gratter, mais peu de gens restaient, il fallait avoir des valeurs de comportement.

Le « castagneur»

Quelques soient les événements, on est toujours restés amis, jusqu’au bout. On se fréquentait moins mais on s’est revus quand il a eu de graves problèmes de famille. Il vivait à l’hôtel Lutetia, il était très mal, belliqueux, défoncé. C’était au moment où j’étais devenu le n°1 des entrées avec “Les Spécialistes” et “Marche à l’ombre”. Il m’a dit: « Enculé, t’es en train de prendre la première place! » Coluche n’avait aucun complexe avec la réussite, il avait fait des milliers et des milliers de bornes sur les routes pour l’obtenir. Il me confiait: « Tu auras réussi le jour où on te traitera d’enculé. » Et il venait de me traiter d’enculé… C’est bien la première fois que ça m’a rassuré ! Coluche vivait sa notoriété colossale sans états d’âme, il était très équilibré avec notre bande. Coluche n’était pas une pute en amitié. Pour lui, plus « le balai » était ancien, plus le balai était bon, contrairement à la mentalité d’aujourd’hui qui veut que le balai neuf balaie toujours mieux. En revanche, ça partait en couilles quand des inconnus se montraient mal élevés, du genre : « Tiens, voilà l’autre gros con de la télé! » C’était un castagneur, je l’ai vu descendre des emmerdeurs à coups de boule, et pourtant, il était loin d’être sportif. Il venait de Montrouge, où il avait souffert, élevé dans 14 m2 avec sa mère et sa soeur. Il était très dur, comme un voyou, on était dans Les Soprano. Assez lunatique, il pouvait te massacrer la gueule en dix secondes. Tout le monde croyait que Jean-Jean et moi étions ses gardes du corps, mais il les allumait tout seul. Et si on ne le faisait pas lâcher, le mec crevait ! Très caractériel, il parlait mal aux cons, mais comme c’était un intellect sur deux pattes, zéro faute de discernement. Les seuls abus de pouvoir que j’ai constatés, c’est avec son équipe : il pouvait être hyper casse-couilles. Quand tu jouais une scène avec lui, il te mettait direct un pain dans le ventre si tu ne lâchais pas ta réplique au bon moment. Coluche était misogyne mais il était très amateur de femmes, avec lesquelles il avait un problème depuis les années 70, à l’époque où il n’était pas le plus beau des beatniks et qu’il ne les intéressait pas une seconde. Il me disait: « Les femmes, c’est une race qui ne vient vers les hommes que lorsqu’ils sont en place! » Des années plus tard, quand il voyait des canons qui se battaient pour se faire baiser par lui, l’ancien moche, il ne les considérait pas. Il balançait juste: « C’est dommage, si j’avais su, je serais venu avec autre those que ce petit truc qui sert à pisser. » Heureusement, il trouvait amour et affection auprès de sa famille.

Putain de camion

J’ai appris la nouvelle de sa mort, en 1986, dans des circonstances hallucinantes. J’étais sur l’autoroute avec ma femme, je déboîtais d’une station-service, quand un camion se met à me klaxonner de manière très agressive. Je lui fais un doigt, et deux bornes plus loin, à un feu rouge, le mec se remet à klaxonner comme un malade. De sa fenêtre, il me montre une putain de clé à molette grosse comme le bras. Heureusement, j’étais équipé, je sors une balle de base-ball et je dis : «Vas-y, descends, et on verra s’il te reste des jambes ! » Il est parti, et dix secondes plus tard, en remontant dans la bagnole, j’entends à la radio: « Coluche est mort dans un accident de la circulation. » Ça m’a anéanti. Pour moi, il faisait partie des gens qui ne pouvaient pas mourir. Je suis de ceux qui pensent qu’il a pu être éliminé. Sa rentrée au music-hall, au Zénith, allait faire de lui, d’après ses dires, le dérangeur public n°1. Et bizarrement, il n’est jamais passé au Zénith… Il serait devenu un grand provocateur politique. Il aurait motivé les gens à ne plus se faire enculer, et le climat politique aurait sûrement changé. Il aurait fallu beaucoup de tchatche aux hommes publics pour répondre à celui qui devenait un concurrent.

Ses héritiers

Si je dois établir la liste de ses descendants plausibles sur scène, ça va assez vite. En premier, Gad Elmaleh, qui me scotche avec son gros travail scénique et son écriture. Tout de suite derrière, Dany Boon, pour sa mécanique d’observation. Et puis il y a un duo que je regretterai à vie, Elie et Dieudonné - Dieudonné dont je ne parle plus depuis qu’il fréquente le pire. L’hiver dernier, je me suis retrouvé sur le tournage du film d’Antoine de Caunes, dans le décor reconstitué de la rue Gazan et j’ai aperçu un mec dans la pénombre… Coluche ! Même coiffure, même bonhomie, même peignoir, et Dieu sait si je m’en souviens pour avoir partagé tant de petits déjeuners avec lui. La performance de François-Xavier Demaison sur le plan de l’interprétation physique est à l’égal de ce que fait l’acteur qui joue Ray Charles dans Ray. Mais en France, quand il s’agit des Ricains, on se branle en en foutant plein les murs, en oubliant de parler des comédiens français lorsqu’ils font des choses bien. Regarde Brad Pitt et Angelina jolie. Tu te demandes de qui on parle, à part d’une provinciale milliardaire qui élève une tripotée de mômes et vient se réfugier en France parce qu’il n’y a pas de serial-killers. Demaison m’a épaté. Gardons pour lui un peu de place sur le mur, question d’estime… Je ne vais jamais dans les soirées mondaines. On y croise des gens qui sont là par nécessité pour rencontrer des gens qui sont là par obligation. J’y vais pas, aux César non plus, car ma liberté, c’est de penser qu’il n’y a pas de « meilleur » dans ce métier. Mais l’addition est chère quand tu ne vends pas ton cul : on n’est pas milliardaire.., mais on est libre. Si j’étais dans Voici avec trois putes, je travaillerais beaucoup plus ! Je m’en tape, je vis à La Baule avec ma famille, persuadé que la seule qualité d’un acteur, c’est sa longévité. Je garde un profond respect pour mon amitié avec Coluche, qui me manque tous les jours. C’était plus qu’un frère : un père. Il m’a appris à devenir un « rebelle » alors qu’au début, j’étais naïf, paumé dans un système inconnu. Grâce à lui, j’ai vu qu’on pouvait devenir célèbre en restant intègre. Quand on parle de liberté, on n’est pas obligé de dire amen à tout le monde, donc d’être consensuel par peur de ne pas faire l’unanimité. Vouloir être aimé de tout le monde est absurde, car l’ami de tout le monde n’est l’ami de personne!» •

Propos recueillis par Philippe Vecchi.

Article paru dans GQ en octobre 2008