Chapitre  "PLONGÉE DE BARGES"

"Ce matin, il fait déjà une chaleur à crever. La barge est posée dans le golfe de Guinée, à 12 bornes du delta du Niger. Sur une mer de pétrole : le champ d'Okoro. Ouais, on fait ce qu'on peut pour le siphonner proprement. Mais on sait bien que cette mer souterraine, on la fait bouffer à tout le monde... 300 marées noires par an, au bas mot, dans tout le delta ! En haut lieu ? Ils s'en foutent. On a fait tout un pataquès pour la fuite BP dans le golfe du Mexique. Franchement, c'était rien à côté d'ici. En même temps, c'est calme la-bas... ici, nous, on a des zigues qui scient les oléoducs et qui siphonnent le brut pour le raffiner eux-même, à la barbe de la compagnie ! ll paraît qu'elle perd chaque jour 25000 barils...

Des fois, on est même attaqués par des pirates. Ils montent à l'abordage ! AK-47, machettes : y a des types enlevés, des demandes de rançon. Du coup, on  a des armes pour se défendre, des grenades... Et quand on voit un bateau louche approcher, on tire en I'air. Enfin, pas toujours.

Sinon, on s'emmerde : inspection de têtes de puits, dévasage, dessouillage, inspection vidéo des pipes, des fois une soudure... La routine, quoi. Par 118 mètres de fond. On n'est plus en exploitation, pourtant tout marche nickel. Bon, on n'est pas dans le secret des dieux non plus. L'essentiel, c'est qu'on touche les salaires et les primes. Et jusque là, rien à dire : c'est un boulot de dingue, mais on se fait des balles en or !

Parce que, faut comprendre aussi : les plongeurs, c'est pas des mauvais bougres, hein, mais deux mois en mission dans ce trou pourri, c'est long ! Et ici, le règlement... Bref, ça part facilement en couille. Alors, les gars, des fois, ils se défoncent la gueule avec ce qui traîne. ll y en a qui distillent des trucs. Alors, quand un mec est trop cassé, on le descend au narguilé d'oxygène pur, au casque, à 12 mètres de profondeur. Après, il compte les poissons au pied de la barge pendant une demi-heure, une heure... Radical : il ressort de là frais comme un lapin de quinze jours, et avec la barre en plus ! Parce que l'oxygène, voyez, c'est...   vasodilatateur... Alors, au bout de quinze minutes, on bande comme un cerf ! Évidemment, c'est rapide comme sevrage mais 12 mètres, c'est beaucoup. La règle c'est pas plus de 6 mètres. Y en a qui supportent pas la pression partielle d'oxygène et qui convulsent. L'autre jour, Crisanto, un Philippin, a tout dégueulé dans le casque : on entendait des râles terribles dans l'intercom. Et il était tellement tétanisé sur le câble par la crise d'épilepsie qu'il a fallu envoyer un gars le décrocher. Le type a même dû lui cogner le plexus à coup de poing et lui balancer son genou entre les Jambes pour le faire lâcher ! Il a encore eu du pot, le Crisanto, de pas se couper la langue avec ses dents... On l'a emmené à l'infirmerie : le doc est cool, il connaît la musique. Une piqûre de nicotinamide, une p'tite amphét ou un vallium, selon, et c'est reparti pour un tour ! Le gars plongeait l'après-midi..."

Source : http://www.blog.francis-leguen.com/carnets-de-plongee-plongee-de-barges/