logolibePar Ondine MILLOT
Trie-sur-Baïse envoyée spéciale

L'homme porte une chemise à fleurs et une barbe grise bien taillée. Il parle avec un accent british distingué. "J'ai été à la fête des soufflaculs où des hommes en chemise de nuit soufflent sous les jupes des femmes. J'ai été à une autre fête où des dindes courent partout. C'est três sympathique, on ne verrait jamais ça en Great Britain." Mandaté par une télévision britannique, ce journaliste anglais prépare un documentaire sur la gaudriole estivale hexagonale. Il a du pain sur la planche : du championnat du monde de lancer de tong à Hourtin au mondial des peleurs d'ail à Beaumont-de-Lomagne, le Guide des fêtes folles de France (1) recense 150 manifestations. Le voilà aujourd'hui, deuxiême dimanche du mois d'août, envoyé spécial au championnat de France de cri du cochon, à Trie-sur-Baïse (Hautes-Pyrénées).

"Gruik". A moins d'être sourd, aveugle et privé d'odorat, impossible d'ignorer l'événement. Dês 10 heures du matin, des premiers "gruik" d'entraînement partent du café des Sports, tandis qu'un fumet de porc grillé s'élêve sur une ville décorée aux couleurs porcines. Cochons qui dansent, chantent ou s'ébattent : chaque vitrine a son affiche ou sa figurine. Au restaurant Chez Jacky, les serveuses ont un groin et une queue en tire-bouchon accrochée dans le dos. Elles vous posent la tasse en faisant "rrôn-rrôn".

Jolie bastide médiévale de 1 100 habitants, Trie s'enorgueillit d'avoir longtemps tenu le rang de "capitale du cochon". Plus de 9 000 bêtes s'échangeaient chaque mardi sous la grande halle de 200 mêtres. Mais l'industrialisation des élevages a sonné le glas du porc triais. Désormais, la halle est vide. Sauf aujourd'hui : une estrade, des tables de banquet et une buvette... où Dédé attend, accoudé. "Je suis le champion en titre du cri du cochon, entreprend-t-il d'emblée. J'ai fait trois fois premier, trois fois second. Vous allez voir,j'ai une technique." L'index passé dans la joue, il offre un avant-goût.

Nelly et Olivier, un couple de jeunes Lyonnais, observent avec gaieté. "On était en vacances pas loin. Quand on a lu dans le Guide du routard qu'il y avait la pourcailhade (autre nom de la manifestation), on s'est dit : on ne peut pas rater ça."

Vers midi, la halle est noire de monde et le repas distribué par plâtrées. Jambon, saucisson, saucisses, pommes de terre au lard et côte de porc. 15 heures : les premiers concurrents montent sur scêne. En coulisse, un quinquagénaire barbu en Babygros rose et tutu explique qu'il est là "contre [son] gré". Quatre "disciplines" sont imposées : "cri du cochon à la naissance", "cri du cochon qui tête", "cri du cochon amoureux" et "mort du cochon". Dédé revêt une combinaison soyeuse avec groin, oreilles et mamelles. Il s'élance : "gruiiiiik !" Ses borborygmes éclatent dans le micro poussé à fond. Le public, plus de 1 000 personnes sur des chaises en plastique, est hilare. "Evidemment, pour eux, c'est la premiêre fois, dit une organisatrice. Nous, les Triais, ça fait quand même trente ans qu'on l'entend."

Dédé est battu par une équipe novice originaire de Nice. Olivier, 40 ans, professeur d'EPS, et son fils Yohann, 20 ans, en centre de formation de rugby, se sont "lâchés". "On s'est dit que ça serait un bon moyen pour s'insérer dans la région. Mais devenir champions de France... On est émus." Autre surprise : sur les sept candidats en compétition, celui classé dernier est charcutier.

Disqualifiée. La journée n'est pas finie. Reste le tiercé des porcelets, la soirée animée par le sosie de Coluche et le championnat du monde du plus gros mangeur de boudin. Parmi les candidats : Yvette, grand-mêre de 81 ans originaire de Marly-le-Roi (Yvelines), malheureusement disqualifiée pour avoir planqué du boudin dans ses jupes. Avec un mêtre vingt englouti en quatre minutes, Bernard, 49 ans, agriculteur à Vic-Fezensac (Gers), enlêve le titre, blasé : "J'ai aussi gagné le concours du plus gros mangeur de magret à Saramont et celui de gâteau des rois à Mirande." Dans le public, un second journaliste à l'accent étranger prend des notes. Il est américain, travaille pour l'agence Associated Press à laquelle est abonnée la quasi-totalité des médias d'outre-Atlantique. Il sourit, visiblement aux anges : "Voir les Français comme ça, les Américains vont adorer."

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