Ce serait un paradoxe, plus pathétique que cocasse : à un enfant souhaitant entrer en France pour rejoindre un parent, l'administration demanderait avant tout de... cracher ! Certes, il s'agirait là non d'une injure sur commande, mais d'un simple échantillon d'ADN à fournir aux labos, afin de vérifier l'état civil des candidats au regroupement familial. Néanmoins, ce crachat inaugural resterait comme une tache sur la carte de séjour, le visa du soupçon sur un premier papier officiel. La controverse sur l'instauration de ces tests génétiques est complexe, que le manichéisme - policiers contre «droits-de-l'hommistes», sans pitié contre sans-papiers - ne saurait résoudre. Et quel que soit le devenir parlementaire de l'amendement incriminé, il est désormais comme une graine qu'arrose la polémique : ce sujet ne cessera de fleurir et de refleurir dans le débat public, et les politiques sans relâche en chercheront les fruits et en trouveront les épines.

Nombre d'arguments plaident en faveur du recours à l'ADN pour lutter contre l'immigration illégale; quelques principes le condamnent. Qu'il soit coûteux et compliqué de procéder à ces analyses n'érode pas leur pertinence technique: elles sont, en effet, un moyen infaillible d'éviter la fraude. Que des craintes éthiques soient légitimes, de la peur d'un fichage racial à celle d'une criminalisation de l'immigration, ne saurait disqualifier un dispositif adopté par 11 pays européens, irréprochables démocraties. Le dépistage génétique de la fraude filiale est scientifiquement efficace, juridiquement possible, moralement défendable. Et c'est justement parce qu'il n'y a aucune raison objective de refuser une telle solution que la France se grandira à le faire.

La France doit refuser ce test génétique, d'abord au nom d'une certaine idée de l'enfant: est mon enfant celui que j'ai reconnu, pas seulement celui que j'ai conçu. L'affectif et l'intellectuel, ici, l'emportent sur le biologique, le lien filial est plus fort que le sang, va au-delà de l'ADN. Des adoptions romaines aux pupilles de la nation, telle est notre civilisation: respectons-la. La France doit refuser ce test génétique, ensuite, au nom d'une certaine idée de la République. La double condition pour accepter un regroupement familial doit être la qualité de l'accueil (l'immigré peut-il subvenir aux besoins des proches qu'il fait venir?) et la capacité des arrivants à se fondre facilement dans la population. Maîtriser la langue, connaître quelques chapitres de culture tricolore, savoir un peu la France avant de la voir: cette exigence est légitime, et le gouvernement suit ici un juste chemin. Si ces deux impératifs sont respectés, la République est à la fois digne dans son hospitalité et ferme dans son principe d'intégration. En ce cas, qu'est-il besoin d'interroger, par-delà les formalités diplomatiques classiquement pointilleuses, le génome des enfants ? Bien assimiler un neveu qu'on aura fait passer pour un fils est moins grave que de ghettoïser un gamin à l'ADN certifié conforme.

Lire aussi l'éditorial de Laurent Joffrin dans Libération.

27/09/2007 : (Note du blogueur) La loi est passée ! dépêche AFP. J'ai honte...

2/10/2007 : la loi est à nouveau retoquée. Ecoutez l'opposition d'un député UMP qui déclare "cette loi est inique".

2/10/2007 : nouvelle pétition instaurée par Charlie Hebdo : www.touchepasamonadn.com. Pas mal de people ont signé, dont voici la liste des premiers signataires :

Isabelle Adjani, actrice. Raymond Aubrac, ancien résistant. François Bayrou, président du Modem. Laurent Fabius, ancien Premier ministre. Dan Franck, écrivain. René Frydman, professeur de gynécologie-obstétrique. Raphaël Haddad, président de l’UEJF. François Hollande, premier secrétaire du PS. Lionel Jospin, ancien Premier ministre. Axel Kahn, généticien. Bernard-Henri Lévy, philosophe. Pierre Mauroy, ancien Premier ministre. Jean-Claude Mailly. Jeanne Moreau, actrice. Patrick Pelloux, médecin urgentiste. Ségolène Royal, présidente de Région. Jorge Semprun, écrivain, homme politique espagnol. Dominique Sopo, président de SOS Racisme. Francis Spizner, avocat à la cour. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT. Lilian Thuram, footballeur professionnel. Philippe Val, directeur de Charlie Hebdo. Dominique de Villepin, ancien Premier ministre. Mouloud Achour, journaliste. Gabriel Aghion, auteur-réalisateur. Akhénaton, chanteur. Princess Aniès, chanteuse. Lisa Ansaldi, chanteuse. Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU. Olivier Assayas, cinéaste. Jean-Christophe Attias, directeur d’études à l’EPHE. Yves Azeroual, producteur. Josiane Balasko, comédienne. Céline Balitran, actrice. Bénabar, chanteur. Esther Benbassa, directrice d’études à l’EPHE. Ghaleb Bencheikh, président de la Conférence mondiale des religions pour la paix. Samuel Benchetrit, écrivain et réalisateur. Pierre Bergé, entrepreneur en confection. Charles Berling, acteur. Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR. Dominique Besnehard, producteur. Serge Bilé, journaliste. Michel Boujenah, humoriste. Malek Bouti, secrétaire national du PS. Clémence Boulouque, écrivain. Marie-Georges Buffet, secrétaire nationale du Parti communiste français. Stomy Bugsy, chanteur. Michel Cantal-Dupart, urbaniste. Patrice Caratini, musicien. Stéphanie Chevrier, éditrice. Elie Chouraqui, cinéaste. Dominique Coubes, directeur de théâtre. Didier Daeninckx, écrivain. Gérald Dahan, humoriste. Marie Darrieussecq, écrivain. Mohamed Dia, entrepreneur en confection. Michel Delpech, chanteur. Harlem Désir, député européen. Jean-Yves Dupeux, avocat à la cour. Frédéric Encel, géopolitologue. Thomas Fersen, chanteur. Geneviève de Fontenay, présidente du Comité Miss France. Alain Franck, auteur dramatique. Romain Goupil, réalisateur. Patrick Gonthier, secrétaire général de l’UNSA Education. Jean-Claude Gayssot, ancien ministre. Stéphane Guyon, humoriste. Sihem Habchi, présidente de Ni putes ni soumises. Mimouna Hadjam, porte-parole d’Africa 93. Gisèle Halimi, ancienne ambassadrice, avocate à la cour. Clara Halter, sculptrice. Marek Halter, écrivain. Pierre Henry, directeur général de France Terre d’Asile. Alain Jakubowicz, avocat à la cour. Marianne James, chanteuse et comédienne. Bruno Julliard, président de l’UNEF. Anousheh Karvar, secrétaire nationale de la CFDT chargée des questions de société. Patrick Klugman, avocat à la cour et vice-président de SOS Racisme. Valérie Lang, comédienne. Claude Lanzmann, réalisateur. Yvan Le Bolloch, comédien. Claude Leroy, entraîneur sportif. Pierre Lescure, journaliste. Makobé, chanteur. Tristan Mendès France, blogueur. Sofia Mestari, chanteuse. Gérard Mordillat, écrivain et cinéaste. Benjamin Morgaine, humoriste. Anna Mouglalis, actrice. Stéphanie Murat, productrice. Alain Olive, secrétaire général de l’UNSA. Omar et Fred, humoristes. Jack Ralite, sénateur. Jean-Michel Ribes, auteur-metteur en scène. Firmine Richard, actrice. Anne-Gaëlle Riccio, présentatrice. Philippe Robinet, éditeur. Elisabeth Roudinesco, écrivain. Bruno Salomone, humoriste. Myriam Seurat, journaliste. Yves Simon, écrivain Smaïn, humoriste. Rémy Skoutelsky, historien. Amanda Sthers, écrivain. Fodé Sylla, membre du Conseil économique et social. Abdou Tahari Chaoui, président de la Fédération nationale des maisons des potes. Christiane Taubira, députée. Niels Tavernier, cinéaste. Sylvie Testud, actrice. Philippe Torreton, comédien. Jean Vautrin, écrivain. Dominique Voynet, sénatrice. Lambert Wilson, comédien. Et toute l’équipe de Charlie Hebdo.



Voici quelques contributions remarquables :

René Frydman gynécologue-obstétricien La génétique ne fonde pas un lien familial

Ce projet est très offensant pour les étrangers. La loi française de bioéthique refuse la biologisation de la filiation et réserve le recours au tests ADN de filiation aux conflits familiaux graves, portés devant les tribunaux. Cette ligne est juste, la génétique ne fonde pas un lien familial. Il y a une quinzaine d’années, l’Inserm avait étudié l’ADN et la filiation de classes entières d’enfants, dans des écoles et avait découvert qu’une proportion non négligeable des troisièmes rejetons d’une famille n’étaient pas l’enfant de leur père… Ainsi, nous appliquerions aux autres une règle que nous refusons. Ainsi, nous exigerions que des informations biologiques servent de passeport à des étrangers. Cela rappelle de très mauvais souvenirs. Il est vrai qu’une minorité de pays européens se réservent la possibilité de demander des tests ADN pour le regroupement familial. Mais dans ces pays, il n’y a pas de discordances de droit : les tests ADN sont libres d’accès pour tous. Il faut aller au-delà, obtenir une harmonisation au niveau européen de l’usage des tests ADN pour l’immigration, sur la base d’une réflexion éthique.

Charles Berling acteur On ne ferait pas ça à une famille française

J’ai juste un truc à dire. On ne ferait pas ça à une famille française. Si c’est la loi du sang qui prime, c’est tout simplement terrifiant. Qu’est-ce que c’est une famille aujourd’hui? On le sait bien: des compositions, des recompositions. Si le président Sarkozy tient tant à ces tests ADN, il n’a qu’à les appliquer à sa propre famille.

François Bayrou président du Modem Quelque chose d’essentiel est en jeu

Par principe, je ne signe jamais de pétition. La seule exception avant celle-ci fut celle sur les prisons. Je donne ma signature contre les tests ADN car quelque chose d’essentiel est en jeu. Premièrement, il s’agit de ramener à la biologie et à la génétique la relation humaine la plus précieuse qu’est la relation familiale. Or, il y a beaucoup d’enfants qui s’épanouissent dans le cercle de famille sans être pour autant les descendants biologiques de leurs parents. Par humanisme, notre vision de l’homme est que le lien familial ne peut se réduire au seul lien génétique. Deuxièmement, il s’agit de l’installation de mécanismes de recours à la génétique dans la régulation de problèmes de société. Troisièmement, on considère que l’immigré doit relever pour sa vie de famille de mécanique biologique que pour l’instant on ne songe pas à imposer aux citoyens français.

Dominique de Villepin ex-Premier ministre Une mesure ni utile ni efficace

Je demande le retrait pur et simple de cette mesure, pour une raison de principe républicain qui dépasse de loin les frontières politiques partisanes. Quelle idée nous faisons-nous du droit de la famille ? Quelle idée de la nation ? Doit-il y avoir une loi pour les étrangers et une autre pour les nationaux ? Cette mesure est profondément attentatoire à nos principes républicains, contraire à la mission universaliste de notre pays. Et elle n’est ni utile ni efficace. Je note par ailleurs que cet amendement divise profondément notre majorité, je pense à Charles Pasqua, à Jean-Pierre Raffarin. C’est aussi le cas au sein du gouvernement, avec les oppositions, notamment, de Bernard Kouchner et de Fadela Amara. Or, sur la question de l’immigration, il faut un très large consensus. Il faut bien sûr lutter contre l’immigration illégale mais avec nos principes, et pour construire une vraie politique d’immigration à l’échelle européenne. Il ne faut pas trahir nos idéaux ni oublier nos objectifs. Il existe une autre vérité, plus stratégique : il est important pour le gouvernement et pour le président de la République de se concentrer sur l’essentiel, et l’essentiel ce sont les réformes économiques et sociales. Tout ce qui nous éloigne de cet objectif n’est pas bon.

Lire aussi l'avis d'Hippolyte Simon, archevêque de Clermont.